Hommes à louer est le dernier documentaire de Rodrigue Jean (Full Blast, Yellowknife). La présentation, aujourd'hui aux Rendez-Vous, de ce film pourrait être la seule occasion pour le public de découvrir le fruit d'un travail de plusieurs années que le cinéaste a consacré à la prostitution masculine à Montréal.

Produit par Informaction avec la participation de l'ONF, le film est la victime d'un conflit opposant producteurs et diffuseurs au réalisateur. La pomme de discorde: la durée du film. Dans son montage définitif il dure 140 minutes, ce qui est beaucoup trop long pour les producteurs et les diffuseurs télé, semble-t-il.

«Ils ont l'impression que si le film était monté de façon plus commerciale, il aurait un grand succès. Jeunesse et prostitution, c'est des trucs facilement sensationnalisables, explique Rodrigue Jean. Pour le montage, chacun a ses intérêts, chacun a ses préférences. Il circule aujourd'hui pour le film cinq ou six plans de montage. Si on n'accepte pas ça, eh bien! ce sont les représailles.»

En guise de «représailles», donc, la postproduction d'Hommes à louer a tout simplement été arrêtée. Le réalisateur a tenté de reprendre les droits de son film, sans succès. «Pour ce système-là, le réalisateur collecte des données, du vécu, mais ils sont les seuls à pouvoir le mettre en forme. Avec mon film, mon but, c'est de faire un long métrage», dit Rodrigue Jean.

«Ne mélangeons pas liberté de création et différence de point de vue» répond la directrice générale des communications de l'ONF, Nathalie Courville. Les producteurs et diffuseurs ont un droit d'approbation sur le film, explique-t-elle, et l'auteur doit respecter certaines contraintes, parmi lesquelles la durée et le format du film.

«Ce sont des discussions qui arrivent tout le temps. Si on n'est pas intéressé à vivre avec des contraintes, il faut produire ses films. Quand on fait appel à des fonds publics, il faut respecter les règles du jeu, ajoute Nathalie Courville. La durée, c'est une contrainte dès le départ: ce n'est pas un secret de Polichinelle, ce n'est pas un lapin sorti du chapeau.»

Rodrigue Jean accuse Informaction et l'ONF (qui a produit entre autres son dernier documentaire L'extrême frontière) de faire la promotion «du reportage au rabais». «La télé a pris en otage la grande tradition du documentaire québécois, regrette-t-il. Le rôle de l'ONF est de faire des films comme celui-là, des films qui ne sont pas commerciaux.»

De leur côté, les producteurs voient la crise comme «un malheureux malentendu», et se défendent de brimer la liberté des réalisateurs. «À l'ONF et à Informaction, notre mission, c'est de donner libre cours au créateur», souligne Nathalie Courville.

Le torchon n'a pas fini de brûler entre le réalisateur et ses producteurs. À la question de savoir s'il finira par céder aux exigences des producteurs, Rodrigue Jean oppose un très vif «ben non!». Une détermination qui étonne l'ONF. «S'il résiste au point de faire tomber un projet qui est presque terminé, je ne sais pas quel producteur voudra travailler avec lui», estime Nathalie Courville.

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Hommes à louer, de Rodrigue Jean, sera projeté aujourd'hui, à 13 h 30, à la salle Claude-Jutra de la Cinémathèque québécoise dans le cadre des 26es Rendez-vous du cinéma québécois.