Hommes à louer ne fait aucune mise à nue, sinon celle à laquelle consentent des hommes jeunes et prostitués. Pendant un an, le réalisateur Rodrigue Jean (Yellowknife, Full Blast) a vu défiler dans un petit local de l'est de la ville des jeunes prostitués, rencontrés par l'intermédiaire du centre Séro Zéro. Hommes à louer est le compte rendu des conversations, suivies pendant une année, avec 12 d'entre eux.

L'histoire commence toujours de la même façon. Douze ans, 13 ans, et déjà des bleus partout. Ici, une mère qui répète à son fils qu'elle ne l'aime pas. Là, un père qui enseigne l'art de voler des voitures. Presque toujours du pot, de la coke, du crack. Un besoin d'argent, facile, rapide, et le trottoir en horizon.

C'est le plus vieux métier du monde, et le seul qui ne souffrira jamais d'une pénurie de clients. Des avocats, des députés, des pervers aussi, qui sont prêts à payer pour des humiliations, des hommes en mal d'amour, des hommes mariés, straight ou gais, louent ces hommes, de préférence jeunes.

À côté du trottoir, la dope. Certains prostitués pensent pouvoir tout arrêter net, trottoir et drogue. D'autres s'effondrent, se relèvent, et expliquent, avec une lucidité presque trop brutale, le piège qui se referme sur eux. «Je consomme, parce que ça me console», analyse l'un d'entre eux.

Les 12 hommes qui se révèlent à la caméra de Rodrigue Jean évoquent sans détour les coups reçus, les coups donnés, le va-et-vient entre dedans (la station de police) et dehors (la rue), les blondes qui partent, celles qui sont «tout le temps gelées», les angoisses, la vie dans la rue, la maladie et la mort.

À 23 ans, un jeune homme constate: «Je me sens perdu dans mon avenir, dans tout, j'ai pas de famille, je vais sûrement finir malade, je sais pas quoi penser, je sais plus quoi faire, la police me court tout le temps après, je suis écoeuré d'eux autres, j'ai rien fait, juste de la prostitution.»

Avec Hommes à louer, Rodrigue Jean a conscience de s'être attaqué à l'un des grands tabous de notre société, la prostitution masculine. Un sujet qu'il connaît bien, puisqu'il a travaillé, en Angleterre, pendant plusieurs années avec de jeunes prostitués. En 140 minutes, le portrait que Rodrigue Jean brosse de ces hommes rend justice à tout un monde que les «bonnes gens» préfèrent ne pas voir.

Le film respecte les silences, ne dirige pas la parole et ne pousse pas la confidence. Il y a de la dignité, et pas de misérabilisme. Ces 12 hommes sont les témoins d'un monde et d'un phénomène de société bien plus que les acteurs victimes de faits divers. Rodrigue Jean ne juge pas, ne moralise pas, ne paternalise pas: tant pis pour les manchettes.

En dépit de ses évidentes qualités, de sa bouleversante justesse, le film que nous avons pu voir hier pourrait bien ne jamais être montré. Les producteurs (Informaction et ONF) jugent sa durée peu orthodoxe. Jean, lui, considère que le montage présenté hier aux Rendez-vous est final, et que les modifications qui lui sont demandées visent à «sensationnaliser» son propos.

«Si on laisse la parole se déployer, c'est poétique. C'est un film que l'on a fait, ce n'est pas un reportage. Il y a un acharnement à faire disparaître les réalisateurs pour faire ce que l'on veut des produits», a-t-il dit hier, à l'issue d'une projection qui a fait salle comble.