Durant le tournage de leur court métrage d'animation Madame Tutli-Putli à Montréal l'an dernier, Chris Lavis et Maciek Szczerbowski sont restés enfermés des semaines pour perfectionner leur technique. Or, depuis qu'ils sont en nomination pour un Oscar, les cinéastes ne sont plus enfermés du tout. Au contraire.

Cette semaine, les cinéastes Chris Lavis et Maciek Szczerbowski sont à Los Angeles, pour la troisième fois depuis un mois. Avant cela, c'était New York et San Francisco. Dans chaque ville, leur horaire ressemble à celui d'un candidat présidentiel. Rencontres. Rendez-vous. Cocktails. Soupers. Tout est calculé à la minute près.

«C'est étourdissant, confie Maciek Szczerbowski, interviewé à L.A. mardi. Pour le moment, on se sent comme un groupe rock en tournée.»

Être en nomination pour un Oscar, dit-il, leur a permis de mettre un pied au centre d'un univers auquel ils n'auraient pas eu accès autrement.

«Cette semaine, nous avons rencontré les frères Coen. Hier, nous avons bu des verres avec Janusz Kaminski, le gars qui a tourné tous les films de Steven Spielberg... Ce qui est fantastique, c'est qu'on parle avec eux comme avec n'importe quel collègue. Ils sont pour nous des modèles, bien sûr, mais ici, ont fait tous partie du même milieu. C'est super stimulant.»

Le court métrage pour lequel ils sont en nomination, Madame Tutli-Putli, est un petit bijou de précision, 17 minutes d'une animation sombre et même un peu «gore». Il met en scène madame Tutli-Putli, une femme entre deux âges qui voyage seule, la nuit, dans un train où se trouvent des personnages étranges. Le film se termine par une série d'événements que chacun est libre d'interpréter comme il l'entend.

Produit par l'Office national du film, le court métrage a été filmé image par image, selon la méthode «stop-motion», peu employée depuis que les effets spéciaux réalisés à l'ordinateur sont devenus la norme.

«Nos poupées sont vraies, les décors sont vrais, l'éclairage aussi, explique M. Szczerbowski. Aujourd'hui, les productions à l'ordinateur dominent tout. Les gens ne réalisent pas qu'on peut faire les choses autrement. Je crois que c'est pour cela que notre film frappe l'imaginaire et suscite de l'engouement en Californie et ailleurs.»

La nomination aux Oscars a permis au film de circuler. Disney, Fox, DreamWorks: tous les gros studios d'animation sont aujourd'hui familiers avec le film singulier des deux montréalais leur première production de calibre professionnel en carrière.

Chris Lavis estime que leur façon de faire a frappé une corde sensible à Hollywood. «Les gens à L.A. n'en reviennent pas de voir ce qu'on a fait avec le stop-motion. Les studios ont depuis longtemps abandonné cette pratique, mais notre travail les intéresse au plus haut point», dit-il.

Loin du studio

De son propre aveu, M. Szczerbowski ne s'attendait pas à être happé par la vague de relations publiques et de rendez-vous qu'impose une nomination aux Oscars.

«Nous, on est le genre de gars à passer nos journées dans le studio, à déplacer des trucs, à peindre, à briser des choses, etc. À la fin de la journée, on est sales et fatigués... Mais, depuis des semaines, tout ce qu'on fait, c'est de parler de nous-mêmes. C'est assez gros comme contraste, disons...»

Une nomination aux Oscars, qu'est-ce que cela change au travail au quotidien? «Cela montre que les gens de l'ONF qui nous ont fait confiance ont eu raison de nous faire confiance, dit-il. Ils ont pris le pari de nous appuyer, ce qui n'était pas simple, et nous sommes fiers de nous être montrés dignes de cet appui.»

Son collègue Chris Lavis est bien d'accord. «On rencontre des gens intéressants, on échange plein de numéros de téléphone. Pour le moment, on essaie de garder les pieds sur terre, de rester en santé et de faire des nuits de sommeil. Après tout ça, on verra ce que l'avenir nous réserve.»