Fanny Mallette me donne rendez-vous au Réservoir, rue Duluth. On retrouve en ce moment l'actrice dans deux films à l'affiche, La ligne brisée de Louis Choquette et Continental, un film sans fusil de Stéphane Lafleur, de retour dans les cinémas depuis son sacre au gala des Jutra. Pour son rôle de réceptionniste d'hôtel atypique, Fanny Mallette était finaliste au gala des Genie (mais pas celui des Jutra). Discussion sur les galas.

Marc Cassivi: On a refait dans la foulée des Jutra l'éternel débat entre cinéma d'auteur et cinéma commercial. Tu fais les deux: Continental est un film d'auteur; La ligne brisée, un film commercial. Tu vois ça comment?

Fanny Mallette: C'est un débat qui me fatigue. Je trouve qu'on a besoin des deux. C'est important, le cinéma grand public. Ça attire plus de gens au cinéma. Je suis toujours heureuse de voir qu'un film québécois a fait plus d'entrées qu'un film américain, en autant qu'il ait un minimum de qualité. Le cinéma commercial n'enlève rien au cinéma d'auteur, et vice-versa. L'important, c'est qu'il y ait un roulement, notamment au niveau du financement.

M.C.: J'ai été déçu que tu ne sois pas nommée aux Jutra pour Continental. Je trouvais que tu le méritais.

F.M.: C'est drôle, aux Jutra, il y a trois personnes, dont une journaliste, qui m'ont demandé comment je me sentais d'être en nomination. J'étais déjà surprise d'être en nomination aux Genie. Continental, ce n'est pas un film d'acteurs. C'est un film d'auteur. C'est le film de Stéphane (Lafleur). Notre travail comme acteur était surtout d'être disponible et très humble. La difficulté du peu de texte qu'on avait, c'était de ne pas trop en mettre. Il fallait jouer ce qui était écrit. Être le plus précis possible. Je trouve que c'est un film admirable dans la retenue. Je suis très contente que Réal (Bossé) ait eu un prix, mais je ne me sens pas du tout offusquée de ne pas avoir été nommée.

M.C.: Tu n'as pas du tout été déçue?

F.M.: C'était presque un soulagement. Je pensais pouvoir m'éviter d'aller au gala. J'haïs les galas. Je ne m'y sens pas du tout à ma place. J'étais contente de gagner un Jutra l'an dernier pour Cheech, surtout avec tout ce qui s'était passé, même avant le tournage. C'est un beau moment à vivre sur le coup, mais je ne peux pas dire que j'ai eu plus de propositions parce que j'ai eu un Jutra. Ce n'est pas la consécration ultime.

M.C.: Ce n'est pas un Oscar.

F.M.: Ça ne change pas une vie. Pour moi, un gala, c'est un peu une torture. C'est compliqué.

M.C.: Le Journal de Montréal a publié une double page sur les tenues des finalistes au lendemain des Jutra, mais à l'américaine, en embauchant des «bitches» de service qui se moquaient des actrices. On est rendus là...

F.M.: Je ne peux pas le croire! On n'a pas d'argent. On arrive dans les galas et on se rue sur nous comme s'il y avait une limousine qui nous attendait à la porte, en face de chez nous. Il y a huit pieds de neige en face de chez moi! Ce que j'ai préféré du gala des Jutra, c'est de voir les filles dans les toilettes, après, se préparer pour aller au party. Elles mettaient leurs bas de laine, leurs jeans en dessous de leurs petites robes, leurs bottes et leur Kanuk. C'est tellement ridicule de se faire juger comme à Hollywood. On est à Montréal. Versace ne nous attend pas à la maison avec un choix de 15 robes. S'acheter une robe, des souliers, un collier, un sac, c'est cher. J'ai deux enfants. Je fais du théâtre. Je ne suis pas riche. Je ne vais pas vous faire croire qu'Untel m'habille. Je veux bien que ce soit un jeu...

M.C.: Sauf que dans ce jeu, on en est rendu à se moquer des actrices dans le journal. Pas seulement dans les chaumières. C'est absurde. Déjà que je trouve qu'on s'en raconte avec nos tapis rouges pour quatre personnes...

F.M.: On n'est pas à plaindre. Mais si on fait un film par année, on est chanceux. Ça n'a rien à voir avec les États-Unis, ni même avec la France. Audrey Tautou a été élue l'actrice la mieux habillée, sauf qu'elle dit elle-même qu'elle n'a plus à payer pour ses vêtements. On n'en est vraiment pas là. Louis Bélanger a déjà répondu à un journaliste qui lui demandait «Qui t'habille?»: «La plaza Saint-Hubert»! Si les gens savaient comme ce n'est pas glamour. J'ai changé une couche avant les Jutra en robe de gala, coiffée, maquillée. Le lendemain matin, il a fallu que je me lève comme d'habitude, même si j'étais cernée jusque-là. Je ne suis pas Nicole Kidman. Je n'ai pas de nounou. Heureusement, parce que ça nous ramène à la réalité.

M.C.: Je m'inquiète parfois de voir notre industrie du cinéma essayer de copier le modèle américain en se prenant pour un petit Hollywood. Comme tu le disais, ç'a aussi un impact sur le financement. C'est un état d'esprit. On fait des succès, on veut faire d'autres succès alors on finance des succès.

F.M.: C'est aussi une question de distribution. Si Continental avait été distribué partout, dans les gros cinémas de banlieue, les gens seraient allés le voir. Le problème, c'est qu'ils doivent faire je ne sais pas combien de kilomètres pour venir à Ex-Centris voir un film d'auteur. Qu'on ne s'étonne pas après qu'ils disent que c'est pour les gens du Plateau, pas pour eux qui sont à Terrebonne. Pourquoi un film d'auteur est distribué dans deux salles, dans le même quartier de Montréal? Je ne comprends pas la logique. Ce n'est pas parce que ç'a coûté 1 million qu'il faut le cacher. Au contraire. C'est un beau film. Pourquoi les cinéphiles des banlieues n'auraient pas accès à ça? C'est un non-sens. Pendant la semaine de relâche, on est allés dans Charlevoix et on a été coincés à Beauport parce que la route était fermée. On a voulu aller voir un film avec les enfants parce qu'on était à côté d'un gros complexe. J'ai été découragée. Je voulais voir un film! En rentrant, il y avait des machines à boules partout. On a été bombardés par la pub et par des questionnaires de vedettes américaines.

M.C.: Je suis allé voir Ratatouille avec mon fils de 3 ans chez Guzzo, le cinéma préféré de Guylaine Tremblay. Il a été traumatisé par les autos tamponneuses, les machines à boules, l'intensité du bruit. Guylaine Tremblay a eu raison de parler du refus de Guzzo de diffuser Contre toute espérance. Surtout que Guzzo était le commanditaire de la soirée des Jutra.

F.M.: J'étais contente qu'elle dise ça, avec une petite pointe d'humour. C'est vrai. Prenez-les nos films et les gens vont aller les voir. Mais ne vous attendez pas à faire 1 million d'entrées si un film est présenté dans deux salles, deux fois par jour...