Capitalisation, consolidation, acquisitions, rachats et nouveaux partenariats. La distribution de films au Québec et au Canada connaît, depuis l'été dernier, de profondes mutations. Ces mois de remous ont renforcé le leader de la distribution au Canada, Alliance. Racheté par Entertainment One, Séville entend néanmoins bien se tailler une part majeure dans le marché de la distribution. Pendant ce temps-là, Christal Films a du plomb dans l'aile. Décryptage d'un «réalignement des forces» en bonne et due forme qui pourrait avoir un impact sur la santé du cinéma québécois.

Depuis deux ans, le visage de la distribution au Canada, et aussi au Québec, change peu à peu. Rachetée par CanWest Global Communications et la banque d'affaires américaine Goldman Sachs, Alliance (dont le catalogue s'étend de Soie, de François Girard, à L'âge des ténèbres, de Denys Arcand, en passant par le prochain Francis Leclerc) a entamé l'année 2008 sous des auspices plutôt favorables, grâce à un investissement de la Société générale de financement (SGF) de 100 millions.

L'été dernier encore, le «petit» distributeur Séville, établi à Montréal, spécialisé dans le film d'auteur, a été achetée par Entertainment One (E1), qui possède aussi des boîtes de distribution au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Belgique et aux Pays-Bas Hollande. Le dernier rebondissement est tout récent. On a appris la semaine dernière que Séville unissait ses forces à celles de Maximum Films dans le cadre d'un partenariat.

Patrick Roy, le président d'Alliance Vivafilm - l'aile québécoise d'Alliance -, le reconnaît volontiers. «Le portrait de la distribution a beaucoup changé depuis six mois, dit-il. Il y a l'arrivée de nouveaux acteurs, les difficultés chez Christal Films, la situation chez TQS (que souhaite racheter Remstar, dont Alliance distribue les films au grand écran).»

Les nouveaux acteurs, ce sont les Films Séville, rachetée par E1, et son nouveau partenaire, Maximum Films, fondée par l'un des grands manitous du métier de distributeur, Robert Lantos. «Pour E1, l'acquisition de Séville était très importante de façon à avoir une base au Canada, il nous fallait trouver un point d'entrée pour la distribution en salle. Ça nous permet initialement d'établir une présence assez forte avec un catalogue assez fort», croit Patrice Théroux, ancien de chez Alliance, et aujourd'hui président des divertissements chez Entertainment One.

La Presse a révélé la semaine dernière que la maison de distribution Christal Films vit une période mouvementée: mises à pied et départs volontaires (13, selon un ancien employé, huit à dix, selon le président Christian Larouche), sorties de films en salle compromises (Cassandra's Dream) ou repoussées (Hank and Mike, My Blueberry Nights), retard de paiements.

Selon Patrick Roy, la distribution «est une entreprise très risquée. Je ne me réjouis pas de ce qui se passe avec Christal, mais je me dis que si ça peut permettre aux gens de constater que ce travail-là est risqué, cela aura au moins servi à quelques chose, dans la mesure où beaucoup pensent que c'est le gros lot à chaque film pour un distributeur»

La distribution, expliquent les professionnels, suppose que l'entreprise dispose de fonds suffisants à l'acquisition et la mise en marché de films. D'où un besoin assez grand de «liquidités», ou d'avoir comme propriétaire une entreprise «aux reins solides, qui permet de traverser la tempête», dit Patrick Roy.

Des profits en baisse

Or, une tempête a bien secoué le cinéma ces dernières années. Les films québécois et internationaux se sont faits moins rentables en 2006 et 2007, mais aussi plus nombreux. Un article de Variety, daté du 14 mars, souligne qu'aux États-Unis, 450 films ont pris l'affiche en 2002, contre 600 en 2007.

«On l'a vu au Canada, il y a de nouveaux joueurs. Et il y a trop de films sur le marché. C'est facile, de trouver des films. La durée de vie de films est courte, et il est devenu de plus en plus difficile de rentabiliser les films dans les salles. Cela ajoute de la complexité», commente Patrick Roy.

Pour faire face à ce défi, les Films Séville et Maximum Films croient pouvoir minimiser leurs coûts en s'unissant. «Plutôt que de bâtir deux infrastructures pour la distribution en salle, on va partager les coûts d'infrastructure en salle. On conserve chacun nos pouvoirs d'acquisition, nos stratégies de lancement. Ce qu'on partage, c'est les gens qui font le marketing et la publicité», dit Patrice Théroux.

Autre avantage au regroupement des distributeurs: faire les yeux doux aux vendeurs de films sur les marchés internationaux en offrant plusieurs territoires - le Québec, le Canada, mais aussi l'Espagne et l'Angleterre pour Alliance, et le Royaume-Uni, les États-Unis, la Belgique et les Pays-Bas pour E1. «Pour le vendeur, être capable de vendre trois ou quatre territoires avec un contrat, il y a un avantage», croit David Reckziegel, le coprésident des Films Séville.

Une menace?

Du côté des distributeurs indépendants, on estime que les acteurs importants du milieu sont condamnés à privilégier les films commerciaux, au détriment des films québécois ou des films d'auteur. «Le gros du portefeuille (de Séville, Alliance et Christal), ce sont des films américains, qu'ils lancent au bon vouloir des studios américains. Aucune date de sortie n'est entre leurs mains. Cela finit toujours par influencer les films québécois qu'ils ont dans leur portefeuille», dit Louis Dussault, fondateur de K-Films Amérique (Toi, Le bonheur d'Emma, La neuvaine).

Les films québécois souffriront-ils de ces bouleversements sur le marché? Si un phénomène inquiète le producteur de CIRRUS Pierre Even (C.R.A.Z.Y., Comme une flamme), ce n'est pas tant les regroupements des distributeurs que la «convergence», c'est-à-dire la naissance de maisons de production à l'intérieur des maisons de distribution.

«Quand tu as des boîtes comme Christal qui ont les moyens de distribuer et de produire, ce sont des préoccupations importantes. On est dans un paysage de producteurs très indépendants, et quand tu as des distributeurs qui entrent avec dans la production avec une capacité financière qui surpasse celle de la plupart des distributeurs indépendants, c'est une nouveauté financière avec laquelle il faut travailler.»

Les grands chambardements dans le paysage de la distribution québécoise ne sont pas terminés. «Il faut revoir tout le modèle de distribution. Le volume n'est plus la recette. L'idée c'était d'augmenter les revenus, toujours. Maintenant, ce que je vois dans l'avenir assez rapproché, c'est vraiment les profits, une industrie axée sur la rentabilité. On s'en va vers cela, et c'est essentiel avec ce qui va se passer: la consolidation du marché, moins de films. Ça va être plus sain, mais il va falloir trouver une façon différente de fonctionner», prévoit Patrick Roy.

Deux acteurs semblent fourbir leurs armes pour la suite: Alliance et E1 (Séville). Pour le plus grand plaisir de leurs dirigeants. «Le réalignement, des forces c'est mon sujet favori, dit Patrice Théroux. La concurrence, en général, pousse les gens à mieux performer. D'arriver en situation de compétition oblige à avoir les idées fraîches.»

Les principaux distributeurs au Québec- Alliance Vivafilm (No Country for Old Men, Hairspray, Comment survivre à sa mère, Bon Cop, Bad Cop) est le plus important distributeur au Québec. Le siège social d'Alliance Films, la société mère autrefois installée à Toronto, a déménagé à Montréal.

- Atopia (Rechercher Victor Pellerin, Sur la trace d'Igor Rizzi) est une boîte de production et de distribution indépendante installée à Montréal. Atopia produit le nouveau film de Denis Côté, Elle veut le chaos.

- Christal Films (Les 3 p'tits cochons) est l'une des plus importantes maisons de distribution au Québec, tant pour les films québécois que pour les films français. La maison fondée par Christian Larouche cherche actuellement des capitaux.

- Équinoxe Films distribue des films québécois (Maman est chez le coiffeur) et internationaux (Married Life, Lars and the Real Girl).

- K Films Amérique se spécialise dans les films d'auteur, québécois (François Delisle), mais aussi français (Emmanuel Mouret) ou internationaux (Le bonheur d'Emma).

- Les Films Métropole distribuent au Québec les films du catalogue de Mongrel Media, une maison de distribution spécialisée dans les films internationaux.

- Remstar, qui veut acheter TQS, a débuté dans la distribution et la production (Head in the Clouds) il y a 10 ans. Aujourd'hui, Remstar s'est concentré sur la production (Polytechnique, Les doigts croches). La distribution de ses films est aujourd'hui assurée par Alliance Vivafilm.

- TVA Films, présidée par Yves Dion, est la branche distribution de Quebecor. TVA films sortira le deuxième volet de Dans une galaxie près de chez vous le mois prochain.

- Séville Pictures, «nichée» dans les films d'auteur et les films français, et achetée par Entertainment One, poursuit avec des films d'auteur et des films québécois (Bluff, Contre toute espérance). Une nouvelle marque devrait être créée pour les films commerciaux.

Changements pour Alliance

Au moment de mettre sous presse, on apprend qu'Alliance a perdu le contrat de distribution au Canada des films de New Line, ce qui représente environ 15% de ses revenus annuels. New Line a notamment produit la trilogie du Seigneur des Anneaux, les Austin Powers ainsi que les Rush Hour.

Pour Louis Dussault, le rôle du distributeur est essentiel. «Il n'y a pas de distributeur, il n'y a pas de films en salle: c'est aussi simple que cela! C'est lui qui fait en sorte d'acquérir les droits, et qui organise ensuite une sortie en salle, en DVD, et à la télé. Pas de distributeur, donc, pas de film», dit-il.

L'art de la distribution, c'est l'art très subtil de «vendre» un film à un public. «Une mauvaise campagne peut tuer un film. Quand tu manques ton premier week-end, tu manques ta campagne», croit Pierre Even. Une campagne trop discrète peut aussi laisser des films dans l'ombre.

«Le ring aurait du avoir une promotion et une distribution plus étendue. Je pense que malheureusement ce film-là est passé à peu près inaperçu parce qu'il était dans deux ou trois salles seulement. Ce n'est pas facile non plus: des films sans vedettes, c'est toujours difficile. On ne peut pas parler d'un manque de volonté, mais peut-être que le distributeur (Christal) n'avait pas les moyens pour lancer le film correctement», avance René Malo, qui a longtemps été un acteur majeur dans la production et la distribution de films au Québec.

Le distributeur peut aussi s'investir financièrement dans la production d'un film, particulièrement dans le contexte de production canadien, où les subventions accordées par la SODEC et Téléfilm couvrent rarement le budget d'un film. «Les producteurs nous demandent toujours de rajouter de l'argent. Cela rend les films encore moins rentables! Maintenant, ce n'est plus possible. Tous les distributeurs sont dans la même situation. Les distributeurs sont de plus en plus prudents, et ils ne vont pas accepter d'investir davantage dans le budget d'un film. Il va falloir que le fédéral soit au rendez-vous, sinon cela va être une situation problématique», dit le président d'Alliance Vivafilm, Patrick Roy.