Un gros plan sur le visage miné de Keith Richards, puis, la question de l'intervieweur surgit.

- Vous faites quoi en arrivant sur scène?

«Je me réveille», répond le guitariste des Rolling Stones et l'autre moitié des Glimour Twins.

Shine a Light est un documentaire unique, d'une classe à part et pour de multiples raisons.

Il y a son réalisateur, Martin Scorsese. Il y a surtout ses protagonistes, les Stones. Les sexagénaires sont à leur summum et ils s'offrent une jolie soirée. Par moments, ils ont l'air d'enfants dans un carré de sable. Leur sphère de jeu étant évidemment une scène. Une petite scène extraordinairement intime. À des années-lumière des immenses structures de métal des dernières tournées.

Un certain soir, à l'automne 2006, le public du Beacon Theatre sera choyé.

Il y a les Stones, là où on a toujours souhaité les avoir, directement dans la face. Le public dans la salle de cinéma sera aussi choyé, mais à sa façon.

Les 16 caméras utilisées par l'équipe de Scorsese ont capté des images ensorcelantes. Les plans rapprochés sont parfois médusants et laissent filtrer les nuits folles et les excès d'une certaine époque. C'est on ne peut plus évident, ces gars-là n'ont jamais eu recours à la chirurgie esthétique.

Shine a Light, c'est d'abord et avant tout une prestation devant un peu plus de 2000 spectateurs. Des irréductibles rassasiés et qui s'époumonnent à la moindre invitation de Jagger, pendant près de deux heures. On les comprend. Les Stones sont à leur zénith, et Jagger chante et ne marmonne pas. Chose encore plus rarissime avec ce groupe, musique et voix sont en parfaite harmonie. Le verdict arrive tôt durant la projection, il offre une grande prestation. Une de ses plus serrées en carrière.

Humour caustique

Au-delà de la performance scénique et de sa part de facéties, de mimiques et de pas de danse de Jagger, il y a cet humour. Un humour caustique, très britannique et stonien.

Il n'est pas facile de travailler avec l'équipe des Stones, et Martin Scorsese l'a vite appris. Peut-être à ses dépens. La journée du spectacle sera sévèrement perturbée par l'arrivée de Bill Clinton. L'ancien président des États-Unis s'y pointe avec sa conjointe, Hillary, candidate à l'investiture démocrate. C'est lui qui présentera les Stones devant une foule assez indisciplinée merci.

Le réalisateur convoite le fameux set-list. On le voit, angoissé au possible, à l'intérieur du Beacon Theatre.

«Qu'attendent-ils pour me la fournir? Pas moyen de les joindre, ils ne sont jamais au même endroit.»

Pas facile non plus pour Jagger de dresser cette fameuse grille de chansons. Il est là, à bord d'un avion nolisé ou dans une suite d'hôtel, en train de cogiter. Ses doigts se promènent à travers le vaste répertoire du groupe. Un répertoire réparti en trois catégories, «les chansons très connues», «les chansons un peu moins connues» et «les chansons moins connues».

Les Stones débarquent à New York et toujours aucune trace de la liste de chansons. «Qu'on me donne au moins le titre des deux premières pièces, s'inquiète Scorsese. Je veux savoir s'il y aura du piano ou des cuivres.»

Le précieux document lui sera finalement fourni quelques clics avant les premiers accords de Jumpin' Jack Flash.

Le choix des chansons est pour le moins percutant. Oui, il y a les hits, mais il y a principalement des titres rarement interprétés sur scène. On pense, entre autres, à Loving Cup, en duo avec Jack White III, et Champagne & Reefer, de Muddy Waters, avec Buddy Guy, à qui Keith Richards offrira sa guitare une fois le numéro terminé. Les Stones ont aussi convié Christina Aguilera. Jagger et elle livrent une version «humide» de Live with Me.

Le documentaire de Martin Scorsese ouvre également une parenthèse sur la petite histoire des Stones. Pour y arriver, il a recours à de judicieuses images d'archives dont des séquences avec Brian Jones et Bill Wyman.

Son équipe a aussi déterré d'intéressants extraits d'entrevues données il y a plusieurs lunes. On est en 1966 et Jagger a l'air d'un gamin.

- Vous pensez entreprendre une troisième tournée? lui demande le journaliste.

«Pourquoi pas?» répond Jagger.

Un peu plus tard, le même Jagger, aux débuts des années 70.

- Pensez-vous chanter encore à l'âge de 60 ans?

«Absolument», a-t-il répondu.

Il avait 63 ans au moment du tournage de Shine a Light, l'automne dernier.

Soixante-trois ans, vous dites?