L'industrie du cinéma et de la télévision craint de voir tous ses projets bloqués si les règles permettant au gouvernement de priver de financement des films ou émissions jugés contraires à «l'ordre public» sont adoptées par le parlement.

L'actrice et réalisatrice canadienne Sarah Polley, qui a récemment été mise en nomination aux Oscars pour son film Away From Her, redoute l'effet «réfrigérant» des mesures envisagées sur les créateurs.

D'après elle, le rôle des artistes est de provoquer. «La responsabilité des artistes consiste à créer des oeuvres qui suscitent le débat et invitent les gens à repenser leurs convictions. Parfois, il faut provoquer pour atteindre ce but», a-t-elle déclaré jeudi lors d'un point de presse.

Sarah Polley faisait partie d'un groupe d'artistes et de gens d'affaires du milieu culturel venus témoigner devant le comité sénatorial qui étudie actuellement le projet de loi C-10, un document de plus de 400 pages qui modifie la loi canadienne de l'impôt.

L'une des dispositions de ce texte permettrait au fédéral de refuser des crédits d'impôt à des productions trop violentes, diffamatoires ou pornographiques. Ottawa se défend bien de limiter ainsi la liberté d'expression et dit plutôt vouloir ainsi mieux gérer l'argent des contribuables.

«On ne parle pas du tout de censure. On parle de mesures d'efficacité pour notre gouvernement. On parle de mesures qui pourraient être adoptées ensemble avec l'industrie», a insisté la ministre du Patrimoine Josée Verner, à l'issue de la période des questions.

Son collègue le député Pierre Poilievre est cependant moins nuancé. «Si des acteurs ou des actrices hollywoodiens célèbres désirent produire du matériel offensif aux yeux de la majorité des Canadiens, ils peuvent le faire en utilisant leur propre argent, pas celui des contribuables», a-t-il répété dans un communiqué.

Le hic, c'est que nul ne sait pour l'instant comment le gouvernement entend s'y prendre pour déterminer ce qui est contraire «à l'ordre public» ni qui tranchera la question.

En outre, la décision d'accorder des crédits d'impôt à un film ou pas serait prise à la toute fin du processus de création, après le tournage, voire après la première diffusion.

Selon Sarah Kerr-Hornell, de Film Ontario, cela entraînerait beaucoup d'incertitude et pourrait pousser les banques, dont l'aversion pour le risque est notoire, à refuser leur soutien à des projets prometteurs.

Mme Kerr-Hornell a d'ailleurs déposé en comité une lettre de la Banque Royale confirmant cette hypothèse. Un tel comportement équivaudrait à «étouffer» et à «paralyser» complètement l'industrie au pays, a-t-elle fait valoir.

Film Ontario, de même que les associations de producteurs de films du Québec et du Canada, ont rejeté du revers de la main l'offre de la ministre Verner, qui proposait de suspendre pendant 12 mois l'application des nouvelles règles, le temps d'en arriver à un compromis avec l'industrie.

Devant le comité sénatorial, les artisans ont plutôt suggéré au gouvernement de s'appuyer sur les dispositions du Code criminel pour prendre ses décisions plutôt que de se doter de critères flous et susceptibles de changer au gré des humeurs des fonctionnaires ou du parti au pouvoir.

L'industrie se dit prête à discuter avec les représentants de l'État pour améliorer la réglementation, mais il n'est pas question de donner «carte blanche» à la ministre.

Josée Verner n'a pas voulu dire si le compromis proposé par les producteurs était satisfaisant. Elle a toutefois reconnu qu'il s'agissait «d'une première étape» vers l'atteinte de ses objectifs.