Avec des films comme Emporte-moi et Le papillon bleu, Léa Pool a creusé le thème de l'enfance pour y puiser une nouvelle inspiration. La réalisatrice québécoise poursuit aujourd'hui sa démarche avec Maman est chez le coiffeur, la chronique d'une séparation vue par une jeune fille de 12 ans.

1966. Le Québec, à peine sorti de sa grande noirceur, vit tranquillement sa petite révolution. Dans les relations de conjugales, c'est encore l'époque du «à la vie, à la mort». Les couples séparés ou divorcés sont rares. La probabilité qu'une mère de famille malheureuse puisse quitter son foyer sans ses enfants est pratiquement nulle. Dans la plupart des familles québécoises des années 60, cela est en effet impensable.

Voilà pourtant ce qui survient dans Maman est chez le coiffeur, le nouveau film de Léa Pool. Cette histoire exceptionnelle, écrite par Isabelle Hébert, découle du choc émotif que ressent une femme, mère de trois enfants, quand elle apprend un aspect inédit de la vie intime de son mari. La réalité devient alors si intolérable à ses yeux qu'elle se doit de partir.

«Plus je pense à cette histoire, plus j'estime que cette femme a eu raison de s'en aller, ne serait-ce que sur une base temporaire, a expliqué la réalisatrice Léa Pool cette semaine au cours d'une entrevue accordée à La Presse. Quand tu te trouves dans un état émotif aussi terrible, quand tu te sens complètement détruite et anéantie, tu ne peux que communiquer des choses négatives à tes enfants. Dans l'esprit de cette mère de famille, l'événement qui déclenche la crise est de nature irréversible.»

Journaliste de profession, cette femme, interprétée par Céline Bonnier, accepte alors un poste de correspondante à Londres, histoire de réorganiser sa vie. Ceux qui restent derrière tentent tant bien que mal de gérer cet «abandon». Tout le récit de Maman est chez le coiffeur est ainsi raconté du point de vue d'Élise (Marianne Fortier), âgée d'une douzaine d'années.

«La situation est évidemment dramatique mais je n'ai pas voulu faire un film lourd, explique la réalisatrice. Au contraire, je me suis plutôt attardée à tout ce qui fait de l'enfance une étape aussi inspirante. Je dirais même que là se situe la principale source de mon élan créatif.»

Au départ, Louis Bélanger devait porter à l'écran ce scénario à caractère autobiographique d'Isabelle Hébert. Les deux artisans avaient d'ailleurs déjà collaboré ensemble à l'élaboration du documentaire Lauzon/Lauzone. Le réalisateur de Gaz Bar Blues a toutefois préféré se consacrer à The Timekeeper, son premier film en anglais, dont la sortie est prévue plus tard cette année.

«De mon côté, précise Léa Pool, je connaissais déjà Isabelle un peu car elle m'avait consultée à l'époque de Lauzon/Lauzone. Elle m'a aussi donné plus tard à lire le scénario de Maman est chez le coiffeur au moment où Louis était toujours lié au projet. Déjà, cette histoire comportait à mes yeux assez de mes propres références pour que je m'y intéresse. Aussi, j'ai voulu en savoir le moins possible sur l'histoire personnelle d'Isabelle quand, une fois que Louis a décidé de se consacrer à un autre film, j'ai pu reprendre le projet en main. Je voulais faire cette histoire mienne.»

Des points de repère

Arrivée au Québec de sa Suisse natale en 1975, Léa Pool n'a pas vécu chez nous l'époque qu'elle décrit dans son nouveau film. En revanche, ses points de repère sont assez précis pour conférer au récit des touches d'authenticité.

«Oui, cette femme est très en avance sur son temps, reconnaît la cinéaste. Cela dit, il y a eu au Québec des femmes de carrière qui, même à une époque où elles étaient très peu nombreuses, ont fait avancer les choses. J'ai d'ailleurs pris la journaliste Judith Jasmin comme modèle.»

La propre mère de Léa Pool a par ailleurs exercé une profession. Hasard ou coïncidence, la réalisatrice a aussi fait l'expérience de l'abandon très jeune dans sa vie. «J'ai été moi-même placée dans un orphelinat en Suisse à peine six semaines après ma naissance, indique-t-elle. J'y suis restée jusqu'à l'âge de trois ans et demi. J'ai mis des années à comprendre qu'une mère avait aussi une vie de femme. Forcément, le scénario d'Isabelle m'incitait à nager dans des eaux qui me sont familières.»

Pour s'approprier un territoire qui lui ressemble, la réalisatrice a aussi donné une autre nationalité à l'un de ses personnages principaux. D'où la présence de l'acteur français Laurent Lucas dans le rôle du père. «Il y a pratiquement toujours des personnages venus d'ailleurs dans mes films, d'Anne Trister à Emporte-moi, en passant par À corps perdu, Mouvements du désir et d'autres, dit-elle. C'est instinctif chez moi. Parce que cela fait partie de ce que je suis.»

Éternel recommencement

Même si elle s'estime privilégiée d'avoir pu mener sa carrière de cinéaste depuis 25 ans, Léa Pool déplore quand même l'orientation qu'a prise l'industrie depuis quelques années. «Aujourd'hui, le seul critère d'évaluation dont les institutions tiennent compte est le scénario. Or, le cinéma est aussi une question de réalisation. Un film comme Anne Trister, qui repose sur une très grande liberté sur le plan narratif, ne pourrait jamais obtenir le feu vert des institutions aujourd'hui, à moins d'être conçu avec un très petit budget. Il y a plusieurs idées de films que j'élimine désormais d'emblée de mon esprit car je n'ai plus la force d'aller essayer de les défendre pour obtenir du financement.»

Elle attribue d'ailleurs au succès du Papillon bleu, son précédent film, la chance de pouvoir tourner encore aujourd'hui. «Aux yeux des gens de l'industrie, il n'y a plus que les fiches comptables qui comptent. Le succès du Papillon bleu m'a sauvée! Mais c'est toujours à recommencer. Il faut toujours se battre.»

Tous ces chiffres indiquent aussi le profond déséquilibre qui existe au sein de la profession entre les femmes et les hommes. Le constat est d'autant plus accablant que la situation précaire dans laquelle se trouvent aujourd'hui les réalisatrices stagne depuis des années.

«C'est simple, la situation n'a pas bougé depuis que j'ai commencé ma carrière il y a plus de 25 ans! constate Léa Pool. J'aimerais bien en comprendre les raisons mais je n'arrive pas à trouver de réponses. Il faudrait faire une étude. Par exemple, suivre pendant quelques années les réalisatrices qui sortent des écoles pour voir à partir de quel moment ça bloque. Cela pourrait faire un bon sujet de documentaire, tiens. En tout cas, moi, je continue parce que j'aime faire du cinéma. Profondément. Il y a bien des moments plus fragiles parfois en cours de route, mais je n'ai aucune amertume par rapport à la carrière que j'ai menée.»