Nous quittons le Soudan dans la nuit du 29 avril. J'ai cette impression, comme un arrière-goût, de n'avoir fait que survoler cette région gigantesque qu'est le Darfour. Comme si, d'une province à l'autre, nous avions emprunté des bouts de vie et de récits, comme les pièces d'un puzzle qui ne serait jamais vraiment achevé.

Nous quittons le camp de Kalma vers 15 h, la veille de notre départ. Sur le chemin d'environ 15 kilomètres qui sépare le camp de 100 000 habitants de Nyala, capitale du Sud Darfour, nous patientons quelques minutes aux différents postes de contrôle qui régissent les allées et venues dans le camp. Dominique et moi discutons à l'arrière de la voiture. Dominique me dit, en déposant pour la dernière fois sa caméra, qu'il a l'impression d'être comme un pêcheur, avec un énorme filet, essayant de capter le plus grand nombre d'images possible, sans avoir le temps d'assimiler la situation.

Il me dit : «Nous avons tourné 22 heures de matériel et néanmoins, j'ai ce sentiment de ne pouvoir ramener qu'une partie de la réalité. Qu'un versant des choses.»

Je suis en train de relire Ébène, de Ryszard Kapuscinski, un grand reporter et historien polonais ayant couvert des dizaines de guerres et révolutions sur plusieurs continents. Ce livre n'est jamais rangé bien loin chez moi. Il est rempli de cette poésie qui est propre à l'Afrique pour décrire son paysage, mais aussi de la vision lucide de cet auteur qui connaît bien l'histoire du continent et surtout, qui sait la vulgariser. Un des paragraphes de son livre attire mon attention parce qu'il illustre bien le fossé qui éloigne l'étranger de l'autochtone. Ce même fossé qui rend parfois difficile le fait de raconter une histoire qui n'est pas la nôtre.

L'auteur dit ceci : «Souvent l'autochtone et l'étranger ont du mal à trouver un langage commun, car chacun utilise un appareil d'optique différent pour voir le même environnement. L'étranger se sert d'un grand angle qui offre une image éloignée, réduite, mais avec une ligne d'horizon longue. En revanche, son interlocuteur autochtone utilise un téléobjectif ou même un télescope qui agrandit le moindre détail.»

En lisant ces lignes, je me dis que la meilleure façon de raconter une histoire est peut-être de ne pas prétendre pouvoir être en mesure de la comprendre tout à fait. Accepter qu'une partie d'elle puisse nous échapper complètement. 

C'est peut-être en abordant dans cette optique le montage des courts documentaires au Darfour que nous arriverons à utiliser ce télescope dont parle Ryszard Kapuscinski?

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