En 1944, Georges Guénette est abattu par la gendarmerie. Son crime? Avoir préféré, aux plages de Normandie, les sous-bois du Québec. Se terrer ici, plutôt qu'être enterré là-bas. Pour son premier long métrage, le réalisateur Simon Lavoie raconte un déserteur, qui, comme le chantait Vian, n'avait pas d'armes.

Le déserteur, c'est lui: Émile Proulx-Cloutier, grand jeune homme que l'on rencontre à Boucherville, dans le jardin de la maison presque d'époque qui accueille le tournage. Il est lui aussi d'«époque», vêtu d'un pantalon en laine vert, bretelles, chemises à carreaux et maillot de corps.

Émile Proulx-Cloutier balaie les préjugés que l'on pourrait avoir sur Georges Guénette. «Ce n'est pas quelqu'un qui a refusé de se battre. C'est une guerre qui était considérée comme européenne, arrivée comme une déviation dans le cours de plein de vies», explique-t-il.

Pour son premier premier rôle au grand écran, le jeune homme a donc le privilège de jouer, sur fond de guerre mondiale, un combat intérieur. Terré dans les bois avoisinants, Georges se rend clandestinement chez ses parents. «Il revient chez eux à la brunante. Ça crée une situation de guerre intérieure. C'est une dimension tragique de l'histoire, qui me rejoint.»

Pendant que l'on discute, assis sur une bûche dans le jardin, apparaît une silhouette tout de noire vêtue. Les cheveux grisonnants, les traits tirés, voici celle qui joue Léda, la mère de Georges, dont la mise à mort a été tournée dès les premiers jours: Danielle Proulx. La mère, aussi, d'Émile Proulx-Cloutier.

Préparé à répondre à une question que l'on n'a pas encore posée, Émile Proulx-Cloutier affirme: «Je n'aurais jamais accepté de faire ce film si ça avait été une chronique anecdotique.» Plus tard, Danielle Proulx dira à son tour: «Cela ne nous aurait pas tentés de faire un film ordinaire.»

Les rôles de mère éplorée, Danielle Proulx connaît. «J'ai eu beaucoup à jouer ça, le fait de perdre un fils dans un film, et ça me troublait. Cela ne me tentait pas d'avoir à le faire avec mon fils», dit-elle. Georges est certes abattu, mais pas sous les yeux de Léda. «Ce que j'aimais, c'est que cette famille ne ressemble en rien à ce que l'on a pu être. On est vraiment dans la composition.»

Le propos du film a retenu l'attention de la comédienne. «On parle d'un moment qu'on connaît très peu. Il y a 16 000 jeunes hommes qui ne se sont pas présentés pour la conscription. Pour les familles, se faire enlever un fils dans la force de l'âge, c'était très pénible», croit-elle.

«C'est étonnant que personne ne soit allé fouiller ça. C'est un moment où on est passés pour des fascistes, alors qu'en fait, les enjeux étaient très pratico-pratiques, dit Raymond Cloutier, le père de Georges et... d'Émile. Ce garçon (Georges Guénette) est devenu une sorte d'antihéros. C'est une tragédie, ce qui lui est arrivé, tous les éléments concourent à faire une mort inutile.»

Raymond Cloutier ne cache pas son admiration pour son fils, mais aussi pour le jeune réalisateur, et estime que le film donnera dans le «jamais vu». «On va vraiment avoir une signature cinématographique que l'on ne voit pas souvent. On n'est pas dans l'industrie, mais vraiment dans le septième art», soutient-il.

Simon Lavoie a été inspiré par la désertion par la lecture du livre d'André Laurendeau consacré à la crise de la conscription. «Il me semblait qu'au Québec, on a rarement abordé cette réalité. Pourtant, la désertion habite notre imaginaire collectif», remarque le réalisateur.

Sur le plan esthétique, le réalisateur espère insuffler à son film une bonne dose de sobriété. «On veut éviter de pécher par excès de réalisme», dit-il. Minutieux, le réalisateur se concentre, lors du tournage, sur des plans séquences. Tout le film a été storyboardé par ses soins.

«C'est comme une manière de pallier notre budget. C'est comme une vision idéale, et j'essaie de tendre vers ça dans chacun des plans», avance-t-il. Le tournage du Déserteur se poursuit dans la région de Boucherville, puis d'Oka. Le film est produit par Réal Chabot (Les films du boulevard) et est tourné avec un budget de 2,9 millions.