En lisant le scénario du Piège américain, Charles Binamé en était convaincu : son film n'allait pas être tourné de façon traditionnelle. Le cinéaste a osé et le résultat sur écran est pour le moins concluant. Pour donner vie à l'histoire de Lucien Rivard, il a utilisé des approches différentes. Ses images, il les a tournées en noir et blanc et en super 8 mm.

«C'est un risque, mais il y a toujours des risques dans la création. Deux semaines avant le début du tournage, un technicien m'a demandé si j'étais convaincu que cette approche était la meilleure. Je l'étais à l'époque et je le suis encore aujourd'hui. J'avais poussé un peu plus loin la technique à l'occasion du tournage de Maurice Richard

Il ne s'est pas rangé derrière cette technique pour une question de style, mais plutôt pour accompagner le scénario. «J'apprécie travailler avec les textures et il y a beaucoup d'émotion dans la lumière.»

Lucien Rivard a été un joueur important au sein de la mafia américaine. Et qui dit mafia américaine dit Commission McClellan et, par ricochet, l'assassinat de l'ancien président des États-Unis John F. Kennedy.

Une époque

«J'avais devant moi un scénario intelligent avec des propos ludiques. Il y a dans ce film des personnages vrais et inventés. Et il y a surtout cette époque fertile et riche en archives. Je ne pensais jamais un jour tourner une scène avec comme personnages Robert Kennedy et Edgar Hoover. Ou encore Lee Harvey Oswald dans les rues de Montréal. J'ai même pu recourir au film d'Abraham Zapruder, tourné le jour où John Kennedy a été abattu. Vous comprenez maintenant pourquoi je ne pouvais pas accorder un traitement traditionnel à ce film.»

Le caïd montréalais de la drogue a cultivé son mythe un peu partout en Amérique et même à l'extérieur. Le Piège américain nous le montre à Cuba, à la Nouvelle-Orléans, au Texas, en Indonésie et, bien sûr, à Montréal.

Pour les besoins du tournage, Charles Binamé et son équipe ont passé trois journées en Louisiane, dont une dans une ancienne prison et une autre sous une pluie incessante. «Les bayous nous ont été d'une grande utilité. À l'hiver 1964, Lucien Rivard a rencontré Paul Mondolini en Indonésie. Cette scène a été tournée en Louisiane.»

C'est aussi en Louisiane que Charles Binamé a fait une rencontre intéressante. «J'étais assis dans l'escalier d'une maison ancienne et un monsieur s'est arrêté pour me parler. Il était au courant de notre film et il m'a avoué savoir des choses qui nous intéresseraient. Mais il a préféré se taire. Il m'a cependant confié avoir rencontré Jim Garrison, Clay Shaw et David Ferry dans cette maison.»

Le premier du trio a été élu procureur de la Nouvelle-Orléans en 1963 et son enquête menée après le décès de John F. Kennedy a inspiré Oliver Stone et son film JFK. Les deux autres sont des joueurs importants de l'enquête de Garrison.

«J'aurais apprécié qu'il m'en dise davantage, mais il n'y avait rien à faire. Il ne voulait pas parler.»

La critique du film sortira dans quelques jours et elle louangera sûrement le travail de Rémy Girard.

«Il a cette grande qualité d'habiter rapidement ses personnages. Pour lui, c'est moléculaire. Je me vois encore à l'aéroport Trudeau, à notre retour de la Louisiane. Je me suis tourné vers lui et j'ai eu l'impression de voir Lucien Rivard. J'étais sidéré.»

Pour incarner Paul Mondolini, le principal acolyte de Rivard, l'équipe s'est tournée vers Gérard Darmon. «Le Corse, la voix, la gueule. Un choix remarquable.»