Les dieux du cinéma se sont faits cléments. Non seulement les stars ont-elles pu hier monter les marches sous un ciel radieux, mais le film Blindness, qui avait la lourde tâche de lancer le bal du 61e Festival de Cannes, sera difficile à battre. Est-ce déjà un indice de la qualité des autres films en lice pour la Palme d'or?

«Je ne suis pas certain que Blindness était le meilleur choix pour ouvrir le festival, mais quel grand honneur on nous fait!» a déclaré hier le cinéaste Fernando Meirelles. Entendez par là que cette adaptation cinématographique du célèbre roman de José Saramago ne comporte aucun des éléments festifs habituellement contenus dans les productions sélectionnées pour lancer les grands festivals. Plutôt le contraire. Là est d'ailleurs toujours un peu le dilemme devant lequel les programmateurs sont confrontés: production populaire attendue à la Da Vinci Code? Ou oeuvre plus artistiquement ambitieuse? En programmant Blindness le soir de l'ouverture, le délégué général Thierry Frémaux a visiblement penché du côté du cinéma en tant que forme d'art.

Accueilli plutôt poliment à la projection réservée à la presse hier matin, Blindness est un film réalisé de main de maître, qui laisse toutefois un sentiment trouble dans l'esprit du spectateur. Cette fable morale comporte en effet des scènes très puissantes, lesquelles s'insèrent dans une histoire dont certains passages tournent toutefois un peu à vide. Fidèle à son style, Meirelles (City of God, The Constant Gardener) propose ainsi un film très organique, très ancré dans le réel (la direction artistique est hallucinante), tout en allant au-delà de cette réalité pour apostropher des thèmes plus larges.

Dans Blindness, les êtres humains sont en quête de dignité dans un contexte franchement apocalyptique. Située quelque part entre Children of Men et Das Experiment, l'intrigue de Blindness est campée dans une mégalopole non identifiée (une bonne partie du film a été tourné à Saõ Paulo). Un homme d'origine japonaise sème tout un émoi quand, en attendant un passage au feu vert au volant de sa voiture, il est soudain frappé de cécité.

L'émoi se transforme en profonde inquiétude quand le médecin qui a accepté de recevoir d'urgence cet homme (Mark Ruffalo) devient lui aussi aveugle. Très vite, la contagion fait son effet. Une épidémie découle de ce mystérieux phénomène.

Les autorités décident d'entasser les malades dans des institutions spécialisées où, alors laissés à eux-mêmes, les nouveaux aveugles se livrent à des jeux de pouvoir qui feront des victimes.

Une civilisation fragile

«J'ai lu le livre dès sa parution en 1995 et j'ai tout de suite eu envie d'en faire un film, expliquait hier le Fernando Meirelles. J'étais inconnu à l'époque et l'auteur ne voulait pas céder les droits d'adaptation de son roman de toute façon. Il disait que le cinéma détruit l'imagination. Je trouve ce roman extrêmement puissant, ne serait-ce que par cette façon dont Saramago illustre à quel point la civilisation est fragile. Il suffit d'un seul écueil pour que tout s'effondre! Nous nous croyons très raffinés, très civilisés, mais au fond, nous sommes des primates quand vient le moment d'assurer notre survie.»

Quelques années après la parution du livre, quelques catastrophes naturelles (dont le passage de l'ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans) ont aussi fait écho aux thèmes abordés dans le roman.

Julianne Moore, qui tient dans le film le rôle de la femme du médecin, seule voyante dans un groupe d'aveugles, était parfaitement en phase avec l'approche du cinéaste. «Je ne sais plus qui a dit que les films ne prévoyaient rien mais qu'ils faisaient écho à la culture du moment. Je trouve cela très juste. Nous ressentons présentement un sentiment d'angoisse très fort dans nos sociétés et il est normal que les films en soient le reflet. Dans un endroit comme Cannes, où l'on célèbre avant tout les films et les cinéastes, je trouve que de présenter Blindness en ouverture a du sens.»

Écrit par Don McKellar, produit en partie par la société torontoise Rhombus Media, Blindness est, aux yeux de ses artisans, une coproduction internationale dans le sens le plus noble du terme. «Je veux d'ailleurs me servir de ce modèle pour tous mes films! a lancé Meirelles, visiblement heureux de son expérience. Le milieu du cinéma n'est pas différent des autres; tout, maintenant, y est interdépendant. Comme nous partagions tous la même vision, le projet s'est réalisé dans l'harmonie.»

«C'est vers ça que le cinéma se dirige de plus en plus, ajoute Julianne Moore. Et cela me réjouit au plus haut point. C'était une joie de travailler avec des gens venus du Japon, du Canada, du Brésil, du Mexique, bref, de partout. Nous n'étions que trois Américains sur le plateau! L'international, c'est la voie de l'avenir!»

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Blindness
prendra l'affiche en Amérique du Nord le 19 septembre.

Notre critique

Blindness
* * * 1/2

En compétition aujourd'hui :

Waltz with Bashir, un film d'animation israélien écrit et réalisé par Ari Folman
Leonera, de l'Argentin Pablo Trapero.