C'est sur une sombre allégorie autour de l'insensibilité de l'homme face au malheur de ses semblables, Blindness (L'aveuglement), que le rideau s'est ouvert, hier, sur le 61e Festival de Cannes. L'heure n'était pas à la rigolade avec cette oeuvre au parfum de fin du monde, où les habitants d'une ville sud-américaine deviennent subitement aveugles, après avoir été contaminés par un mal mystérieux.

Le réalisateur de La cité de Dieu et de La constance du jardinier, le Brésilien Fernando Meirelles, a vu dans le roman éponyme de José Saramago, paru en 1997, une métaphore sur «la fragilité du monde» confronté à un grand malheur, a-t-il expliqué en conférence de presse, après la projection de son film, accueilli avec une certaine indifférence par la presse internationale.

Pour l'occasion, le cinéaste brésilien était flanqué d'une distribution cosmopolite qui, malgré la barrière des cultures, semblait s'entendre comme larrons en foire : les Américains Julianne Moore, Alice Braga et Danny Glover; le Canadien Don McKellar (également scénariste du film); le Mexicain Gael Garcia Bernal; et le tandem japonais Yusuke Iseya-Yoshino Kimura. Seul Mark Ruffalo manquait à l'appel.

Tous ces acteurs forment dans Blindness un groupe de rescapés qui tentent de survivre, malgré leur cécité, dans un hôpital désaffecté, mis en quarantaine par l'armée. Tous sont contaminés par la mystérieuse épidémie, sauf la femme d'un médecin (Julianne Moore) qui fait croire être aveugle aussi afin de ne pas abandonner son mari (Mark Ruffalo). Cette femme deviendra en quelque sorte les yeux du reste du groupe, confronté à une guerre de pouvoirs avec un autre clan, dirigé par un roi autoproclamé (Gael Garcia Bernal).

Malgré un beau travail sur la photographie, dans les tons laiteux, le film laisse bien peu de place à l'émotion. Quelques scènes sont plutôt dures, alors que les femmes du clan soumis doivent s'offrir, en échange de nourriture, comme objets de plaisir au despote et à ses hommes.

«Le film peut être interprété de différentes façons, a expliqué Meirelles. Il peut l'être d'un point du vue sociologique, pour montrer comment les hommes peuvent adopter un comportement primitif, comme les animaux. La perte de tout peut révéler qui vous êtes vraiment. D'un point de vue politique aussi, dans sa façon de montrer comment les sociétés s'organisent.»

Danny Glover, dont le personnage borgne se veut aussi le narrateur du récit, a avancé une réponse d'actualité à l'interprétation de Blindness. Il prend en exemple les victimes de l'ouragan Katrina, à La Nouvelle-Orléans. «Ils sont devenus invisibles au reste de la société. On ne les voyait plus, on ne s'en occupait plus. Nous vivons dans un monde où l'on ne voit plus le malheur des gens autour de nous. Des millions de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour, et l'on ne les voit pas. Le film nous confronte à notre propre cécité et à notre inaptitude à voir les gens», s'est indignée la vedette de L'arme fatale, sous les applaudissements de la salle.

Sur un ton plus léger, Julianne Moore s'est fait demander par un journaliste la raison de la coloration de ses cheveux pour les besoins du tournage. La célèbre rousse de Far from Heaven et de The Hours s'est fait teindre en blonde, a-t-elle dit, pour rendre ses scènes «plus fortes», au diapason de la texture blanchâtre du film. «J'ai beaucoup aimé. Je le referais n'importe quand...»