Beau portrait de femme incarnée avec une énergie rageuse par la jeune Martina Gusman, Leonera de Pablo Trapero, le premier des deux films argentins en compétition au Festival de Cannes, dépeint avec finesse le dilemme moral posé par la présence de jeunes enfants en prison.

Montré le lendemain de l'ouverture, le cinquième film de Trapero coécrit, interprété et produit par sa femme Martina Gusman est, avec La femme sans tête de Lucrecia Martel, l'un des deux tickets argentins pour la Palme d'or.

Chaleureusement accueilli par la presse qui l'a vu avant sa projection de gala dans la soirée, c'est un drame de facture classique inspiré des fictions «des années 50, où l'on suit une héroïne qui traverse de grandes difficultés», a déclaré Pablo Trapero à l'AFP.

Leonera qui en espagnol signifie littéralement la «cage aux lions» et désigne une cellule de détention provisoire, a été tourné dans d'authentiques pénitenciers de la province de Buenos Aires et mêle acteurs professionnels, vraies détenues et personnel pénitentiaire.

Composant Julia avec fougue et intelligence, Martina Gusman s'impose d'emblée comme une sérieuse candidate au prix d'interprétation remis à la clôture par le jury présidé par l'acteur et réalisateur américain Sean Penn.

Une femme se réveille, et sa tête sur l'oreiller laisse des traces de sang. Chez elle, les traces d'une violente dispute et dans l'embrasure d'une porte, la vision de deux corps sur le sol... Julia a tout oublié de sa soirée de la veille, mais celle-ci lui vaut d'être incarcérée et inculpée de l'homicide de son compagnon.

Mais ce début de film noir n'est qu'un leurre car Leonera bifurque bientôt, élargissant son cadre et gagnant en intensité dramatique avec l'arrivée de Julia dans une prison réservée aux femmes.

Enceinte, elle intègre l'unité réservée aux mères: là, au coeur de la grisaille des murs lépreux, des miradors et des barbelés, le spectateur a la vision sidérante de joujoux colorés, de paquets de langes et bientôt de petits enfants marchant à quatre pattes entre les cellules, dessinant sur les murs et escaladant les barreaux.

Jamais démonstratif ni faussement documentaire, dénué de pathos, Trapero déjoue les pièges du film «de prison», navigant loin des stéréotypes (brutalité des matons, rixes entre prisonnières...) pour plonger dans le quotidien méconnu d'enfants privés de liberté, dépeint avec finesse et sensibilité.

Nés et élevés derrière les barreaux, ils ne grandissent pas loin de leur mère mais sont cruellement punis avec elle, pris au piège d'une machine judiciaire déficiente qui prolonge parfois la détention préventive pendant des années avant d'organiser un procès.

Auteur en 2003 d'El Bonaerense dont le héros, un serrurier cambrioleur dénommé Zapa, conservait le même mystère impénétrable que la dure Julia, Trapero s'attache au parcours moral de celle-ci.

Cette jeune femme un peu paumée, en rupture familiale - elle a grandi loin d'une mère exilée en France, jouée par la chanteuse franco-uruguayenne Elli Medeiros - trouve dans le lien viscéral qui l'attache à son enfant, la force d'affronter la prison.

«J'ai beaucoup parlé à des détenues qui avaient le même profil que Julia, accusées d'homicide, nous prenions du maté en groupe, j'ai aussi rencontré des juges et des avocats», a dit à l'AFP Martina Gusman.

«J'ai ce personnage en moi, je vis avec depuis longtemps», affirme la comédienne et productrice chevronnée, qui a initié Leonera en écrivant un script d'une quarantaine de pages, matrice du scénario.