Premier cinéaste français à entrer en compétition à Cannes jeudi, Arnaud Desplechin signe un film de la maturité, le splendide Un conte de Noël, symphonie familiale où une pléiade d'acteurs dont Mathieu Amalric et Catherine Deneuve jouent une subtile partition sentimentale.

Coécrit avec le partenaire habituel de Desplechin, Emmanuel Bourdieu, fils du sociologue Pierre Bourdieu, Un conte de Noël débute par un théâtre d'ombres chinoises qui relate l'histoire d'Abel (Jean-Paul Roussillon) et Junon (Catherine Deneuve).

Ils eurent une fille, Elisabeth (Anne Consigny) puis un fils, Joseph atteint d'une maladie génétique, que seule une greffe de moelle osseuse pouvait guérir.

Naquit alors Henri (Mathieu Amalric) qui n'était pas un donneur compatible, et les parents durent renoncer à sauver Joseph qui mourut à l'âge de sept ans. Puis vint le dernier fils, Ivan (Melvil Poupaud).

Des années plus tard alors que les enfants sont adultes et que Noël approche c'est au tour de Junon, atteinte de leucémie, d'avoir besoin d'une greffe.

Qui sera le donneur: le fantasque Henri, traité en paria par tous sur ordre d'Elisabeth, courroucée par ses frasques financières? Ou bien Paul (Emile Berling) le fils d'Elisabeth, adolescent fragile aux tendances schizophrènes?

Alors qu'ils sont réunis pour Noël dans la maison familiale de Roubaix, comme par enchantement la parole se libère, les sentiments longtemps tus sont avoués... et les vacheries fusent, surtout dans la bouche de Junon, la mère castratrice jouée par Deneuve - lorsqu'Henri lui lance «Je ne t'aime pas!» elle répond avec une cruauté décomplexée : «Moi non plus!»

Tous les acteurs, Emmanuelle Devos, Chiara Mastroïanni, Melvil Poupaud, Laurent Capelluto sont excellents dans ce film qui sort en France le 21 mai.

Construit comme un kaléidoscope grâce à un savant montage qui navigue avec fluidité du passé au présent, d'un héros à l'autre, Un conte de Noël s'inscrit dans la veine autobiographique et la quête généalogique de Desplechin (Rois et reine, L'aimée).

Nourri de psychanalyse, le cinéaste traque le refoulé (mort d'un enfant, ascendance juive...) qui détermine la vie des individus tout autant, voire plus que leurs actes: «Nous demeurons nécessairement étrangers à nous-mêmes», dit un narrateur, citant Frédéric Nietzsche.

Car les références littéraires abondent dans ce film aux riches ambiances, photographiées par Eric Gautier et mises en musique par Grégoire Hetzel.

L'un des talents du cinéma français les plus affirmés des vingt dernières années, Arnaud Desplechin est à 48 ans un habitué de la Croisette où il a déjà brigué la Palme avec trois films, La sentinelle (1992), Comment je me suis disputé... (1996) et Esther Kahn (2000).

Les deux autres films français en compétition sont La frontière de l'aube de Philippe Garrel et Entre les murs de Laurent Cantet.

Dévoilé jeudi, Les trois singes est aussi une tragédie familiale, un drame de la jalousie à la somptueuse image numérique qui met en scène un trio: un couple et son fils. Il signe le retour du Turc Nuri Bilge Ceylan, pour la quatrième fois en compétition, deux ans après l'intimiste Les climats.

Ayant tué un homme au volant de sa voiture, un politicien (Ercan Kesal) paie son chauffeur (Yavuz Bingöl) pour endosser la responsabilité de l'accident.

Pendant que son employé est en prison, le politicien séduit l'épouse (Hatice Aslan) de celui-ci, sous les yeux du fils (Ahmet Rifat Sungar), et la fierté masculine blessée se heurte à la sensualité féminine.