Après la présentation de deux excellents films jeudi, dont le remarquable Waltz with Bashir d'Ari Folman, c'était hier au tour d'Arnaud Desplechin de séduire les festivaliers avec Un conte de Noël.

S'inscrivant dans la parfaite continuité d'une oeuvre singulière, construite sur la complexité des relations intimes et familiales, le Desplechin nouveau est un film choral dans lequel chaque personnage module une partition aussi subtile que grandiose. En filigrane, un thème délicat, pour ne pas dire carrément tabou: le désamour, quasi congénital dans ce cas-ci.

Tout se passe chez la famille Vuillard, au sein de laquelle un drame est survenu il y a maintenant 40 ans. L'aîné de la famille, atteint d'une maladie génétique très grave, aurait en effet eu à l'époque besoin d'une greffe de moelle osseuse pour, peut-être, réchapper de la leucémie. Or, ni ses parents (Jean-Paul Roussillon et Catherine Deneuve) ni sa petite soeur Elizabeth, n'étaient compatibles. Aussi, les géniteurs avaient-ils alors décidé de faire un troisième enfant dans l'espoir que le nouveau-né puisse devenir le donneur. Ce «bébé médicament» n'étant pas compatible non plus, l'aîné est mort à l'âge de 7 ans.

Henri, celui qu'on a conçu dans l'espoir de guérir l'autre, portera-t-il sur lui le poids du deuil dont ne pourra jamais se défaire sa soeur (Anne Consigny). Cette dernière a d'ailleurs décidé de bannir complètement son frère de sa vie.

Le jour où Junon, la mère, est atteinte de la maladie qui a emporté jadis son fils aîné, la famille entière - incluant enfants, petits-enfants, conjoints - rapplique à la maison de Roubaix.

Là où on aurait pu attendre un jeu de massacre à la Festen, Desplechin nous propose un portrait extrêmement émouvant, qui recèle de sentiments inavouables, exprimés ici d'une façon qui va bien au-delà du simple effet de style. Il se dit dans ce conte des choses d'une cruauté sans nom, qui atteignent leur cible en charriant avec elles divers degrés d'interprétation.

Plusieurs scènes magnifiquement écrites marquent ce film. Un échange entre Junon (Deneuve) et Henri (Mathieu Amalric), «ce fils qu'elle n'a jamais aimé», se distingue particulièrement. Les deux personnages se balancent alors au visage leurs quatre vérités.

«Ce n'est pas un désamour total, a expliqué hier Catherine Deneuve lors d'une conférence de presse où tous les artisans du film étaient rassemblés. Je crois qu'elle est très sincère dans ce qu'elle dit, mais que cela ne reflète pas vraiment la réalité. Seulement voilà, elle a envie de dire ça à son fils!»

«Et au moins, c'est réciproque! ajoute Amalric. Je ne t'aime pas. Ben moi non plus!»

Malgré la gravité du propos, l'absence de pathos confère au film une véritable liberté de ton. Les différents personnages peuvent ainsi exprimer leur nature profonde dans un contexte où le caractère outrancier de leurs gestes - et de leurs sentiments - n'a aucune résonance mélodramatique.

Ce film, admirablement bien conçu et dirigé, est aussi porté par une remarquable distribution d'ensemble. Tous les acteurs, d'Hippolyte Girardot à Chiara Mastroianni, en passant par Melvil Poupaud, Emmanuelle Devos, Anne Consigny et quelques autres, tirent en effet leur épingle du jeu. Mathieu Amalric, véritable alter ego du cinéaste, offre encore une fois une composition étonnante. Catherine Deneuve, impériale en matriarche au coeur de glace, trouve ici, de son côté, l'un de ses plus grands rôles des dernières années.

Un malaise

Nuri Bilge Ceylan a principalement fait sa marque auprès des cinéphiles avec Uzak (Grand Prix du jury et double prix d'interprétation masculine à Cannes en 2003) et Les climats. Son nouveau film, Les trois singes, ravira probablement ses admirateurs grâce à sa beauté picturale et à ses compositions très étudiées. Il irritera fort probablement aussi les autres. Cette histoire, dans laquelle - telle la célèbre maxime - trois membres d'une même famille choisissent de nier la réalité, emprunte en effet un mode narratif très dépouillé. Et distille les obsessions habituelles du cinéaste turc - notamment son rapport aux femmes - sur un registre qui provoque parfois le malaise. Dommage.

NOS CRITIQUES

Un conte de Noël
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Les trois singes
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