Dans Supersize Me, Morgan Spurlock a mis sa vie en péril en bouffant du McDo pendant 30 jours. Dans Where in the World is Osama Bin Laden?, il s'est attaqué à une autre mission périlleuse: tenter de trouver où diable se cache l'ennemi public numéro un des Américains.

Morgan Spurlock le concède volontiers: son nouveau film est à ses yeux autant une comédie qu'un documentaire. Après le succès inattendu - et international - de Supersize Me, le cinéaste s'est senti investi du devoir d'attaquer un sujet ayant une portée universelle. Quoi de mieux pour ce fairequ'un personnage désormais élevé au rang de mythe populaire ?

«J'ai eu l'idée de ce film alors que le président Bush venait de commencer son second mandat, racontait Spurlock au cours d'une entrevue accordée récemment à La Presse, dans le cadre d'une tournée de promotion qui l'amenait à Toronto. ben Laden venait tout juste de faire parvenir aux médias un nouvel enregistrement vidéo, au terme duquel un commentateur n'a pu s'empêcher de lancer la question qui sert finalement de titre au film. Mais cela n'allait pas plus loin à l'époque.»

Un nouvel élément devait toutefois intervenir dans l'élaboration du projet: l'annonce d'une paternité, une vraie, pour le documentariste. Sa toute première.

«En fait, nous étions déjà en mode pré-production à ce moment là, mais cette nouvelle a fait en sorte que le projet de film s'est complètement transformé. Du coup, cette quête est devenue beaucoup plus personnelle. De façon plus large, je me suis demandé dans quelle sorte de monde mon fils allait naître. Pour cela, j'ai tenté d'aller trouver des réponses en me rendant dans les endroits les plus menaçants à nos yeux. Je ne connaissais auparavant des pays du Moyen-Orient que ce que les médias américains voulaient bien en montrer. Or, je me suis vite aperçu que les gens «ordinaires», peu importe le pays dans lequel ils vivent, ont à peu près les mêmes préoccupations partout.»

Autant une comédie qu'un documentaire, disions-nous. Il se trouve pourtant que certains médias américains ont pris la démarche de Morgan Spurlock très au sérieux. Des rumeurs ont même circulé à l'effet que le cinéaste aurait accompli à lui seul ce que ni la CIA, ni le FBI, ni la puissante armée américaine ne sont encore parvenus à faire jusqu'à maintenant: localiser la cachette d'Oussama ben Laden. Un suspense a ainsi été créé, certains optimistes à tout crin croyant que Spurlock aurait réussi à capter des images inédites de l'homme le plus recherché du monde. Et s'attendaient à les découvrir dans son film.

«Quand j'ai appris l'existence de ces rumeurs, je me suis donné comme politique de ne pas les commenter tant que le film ne serait pas montré, explique Spurlock. Je ne croyais sincèrement pas que certaines personnes allaient prendre la chose si sérieusement. Au Festival de Sundance, où le film a été présenté en primeur, il y avait des gens qui étaient en colère, qui se sont sentis trahis. Ils me reprochaient de ne pas avoir retrouvé ben Laden moi-même! Les personnes qui ont alimenté ces rumeurs ont visiblement fini par y croire. De mon côté, je n'avais jamais laissé entendre que j'étais vraiment sur sa trace. J'avoue que ces réactions agressives m'ont un peu étonné.»

D'autant plus que dans l'esprit du cinéaste, qui dit avoir été complètement transformé par son périple (et aussi par sa nouvelle paternité), la capture du chef de l'organisation Al-Qaeda ne revêt plus aujourd'hui la même importance qu'au lendemain des attaques du 11 septembre 2001. «En fait, ben Laden est plus devenu un symbole qu'un individu, analyse Spurlock. Il est nulle part et partout à la fois. Il nous sert de Bonhomme Sept Heures! Si un jour on mettait le grappin sur l'individu, cela ne changerait plus grand-chose car son idéologie est désormais bien implantée auprès des groupes terroristes. Qui se sont d'ailleurs multipliés au fil des ans. La bonne nouvelle, c'est que ces extrémistes constituent quand même une infime minorité au sein des populations. C'est du moins ce que j'ai pu constater en bavardant avec des citoyens, qu'ils habitent l'Égypte, l'Arabie Saoudite ou l'Afghanistan.»

Une discussion nécessaire

Cela dit, le périple ne s'est pas déroulé sans écueils non plus. Dans le feu de l'action, Spurlock s'est souvent demandé pourquoi diable il s'était embarqué dans pareille aventure.

«Mais j'ai toujours l'habitude de terminer ce que je commence, ajoute-t-il. Jamais ne m'est-il venu à l'esprit d'abandonner. Et même si je ne pouvais prévoir où ce périple allait me mener, je suis heureux du résultat. Parce qu'il peut servir de point de départ pour une discussion plus que nécessaire dans notre pays. Partout dans le monde, la réputation des États-Unis est épouvantable!»

Autrement dit, Spurlock compte expliquer à ses compatriotes les raisons qui ont mené à cette impasse, en empruntant le point de vue du gars ordinaire qui cherche à comprendre. Par son ton, sa manière, ce document évoque évidemment l'esprit des productions iconoclastes d'un dénommé Michael Moore.

«Je revendique complètement cette filiation, dit le cinéaste. Si Moore n'avais pas été là pour imposer son style, un film comme Supersize Me n'aurait jamais eu droit à une distribution en salle. On peut penser ce qu'on veut de ses films, mais il reste qu'ils créent l'événement et suscitent des débats. C'est ce que je souhaite avec Where in the World is Osama Bin Laden?. Je sais qu'on nous reprochera une vision simpliste d'une problématique extrêmement complexe, mais j'estime qu'il faut d'abord faire un premier pas avant de se rendre quelque part.»