Roger Cantin écoutait l'émission 275-Allô, animée par Dominique Payette, quand il a eu l'idée d'un film. «Un enfant parlait de la mort de sa mère avec une maturité étonnante. J'ai eu envie de creuser ça un peu.» Les années ont passé et le scénariste-réalisateur tournait hier quelques scènes de Tocade et fugue dans une ruelle du quartier Centre-Sud de Montréal.

La conjointe du cinéaste, Marie-Ange Barbancourt parle du «film de la maturité de Roger, qui englobe son oeuvre complète». Un film dans lequel celle qu'on a connu à MusiquePlus, et qui produit et réalise aujourd'hui l'émission Mosaïque de TVA, a un tout petit rôle de journaliste.

Tocade et fugue raconte l'histoire de Norbert, un travailleur humanitaire rapatrié d'urgence d'un pays d'Afrique en guerre. Cet ex-syndicaliste, qui avait fui le Canada où on l'accusait d'un crime qu'il n'avait pas commis, est «un homme de conviction, au coup de poing un peu trop facile», dit en riant le comédien Pierre Lebeau, qui lui prête ses traits.

Roger Cantin a écrit le rôle de Norbert en pensant à Lebeau, et l'acteur a collaboré étroitement à la conception du film depuis un an et demi. «C'est un bon comédien, il crève l'écran, dit Cantin. Norbert est un personnage qui a vécu des choses dures, mais qui est capable de tendresse, un anarchiste, un vieux syndicaliste.»

Norbert a pour compagnon un petit singe, Trotsky. Quand il voudra l'abandonner pour retourner clandestinement en Afrique, il croisera sur son chemin l'autre personnage-clé du film, Christophe, un garçon en fugue. «Pas nécessairement en fugue, mais en peine, précise Julien Adam, 12 ans. Je fais semblant de vouloir l'aider, mais je suis un peu égoïste, je le manipule pour obtenir ce que je veux.»

Tocade et fugue est le premier long métrage de fiction de Roger Cantin depuis le Conte pour tous La forteresse suspendue, en 2001. C'est aussi le premier long métrage de fiction que produit Rock Demers depuis les difficultés financières qui ont fait passer les effectifs de sa boîte Production la Fête de 55 à sept employés.

Entre-temps, Roger Cantin a signé des documentaires, dont le récent Ni sauvage, ni barbare, et écrit des scénarios pour lesquels il n'a pas obtenu le financement des institutions. Il tourne Tocade et fugue avec un budget minimal - un peu moins d'un million et demi de dollars - qui, paradoxalement, lui donne plus de liberté.

«On avait prévu faire le même scénario avec un budget de 5 millions, dit-il. C'est un choix. Parfois les films plus coûteux sont trop lourds. Avec une équipe réduite, j'ai plus de temps de réflexion, plus de temps pour les répétitions.»

Outre Lebeau et le jeune Julien Adam, la plupart des acteurs, dont Alexis Martin en inspecteur de l'immigration, ont tout au plus une journée de tournage. Louise Richer en a trois, elle qui incarne Mme Greesall, propriétaire d'une maison de chambres où loge Norbert. «J'ai souvent des rôles de travailleuse sociale, de psychologue, je suis contente de jouer une vieille maudite, dit-elle. J'ai le goût de jouer de plus en plus des rôles plus dramatiques que comiques, quitte à prendre éventuellement des distances avec l'humour», ajoute la fondatrice et présidente de l'École nationale de l'humour.

Le ton de Tocade et fugue n'est pas celui des Contes pour tous, précise Louise Richer: «On ne veut pas faire rire. C'est une quête d'identité, une fable sur deux déracinés: Norbert est enraciné en Afrique, et l'enfant a perdu sa mère.» Curieusement, dit Pierre Lebeau, les journalistes ont vu hier les deux seules scènes drôles du film, dont l'une où Lucien (Carl Alacchi), l'homme de main de Mme Greesall, plutôt amoché à la suite d'une rencontre avec le singe Trotsky, échappe une boîte sur son pied blessé au moment où Norbert s'enfuit au volant de son camion.

Ce n'est pas parce qu'il y a un enfant dans le film que c'est un film pour enfants, acquiesce Lebeau: «On a évacué toute forme de jeu apparenté aux films pour enfants, comme si on jouait dans un film destiné au public adulte, qui parle de vie, de mort, de pérennité. Pour Roger et moi, c'est un film pour tous.» Un conte pour tous? Tout à fait, croit Rock Demers, père de cette série de films jeunesse, «à la différence que pour la première fois, le rôle principal est un adulte».

Roger Cantin, qui, 24 ans après avoir coscénarisé La guerre des tuques, cherche à se débarrasser de l'étiquette de «cinéaste pour enfants», ne voit pas tout à fait les choses du même oeil que son producteur. «Au moment de distribuer le film - dont la sortie est prévue dans un an - ils vont le repositionner», prédit-il.

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Tocade et Fugue : Réalisé par Roger Cantin. Avec Pierre Lebeau, Tetchena Bellange, Alexis Martin et Julien Adam. En tournage jusqu'au 20 juin, à Montréal et au Zoo de Granby. Sortie prévue: septembre 2009.