À 30 ans, Mariloup Wolfe a déjà une feuille de route enviable à la fois comme comédienne, animatrice et réalisatrice de courts métrages et de pubs. Mais cet été, la blonde enfant franchit un pas de plus en tournant son premier long métrage sur une bande de jeunes mordus du parachutisme. Portrait d'une jeune femme qui n'a pas peur de sauter dans le vide.

Le premier long métrage de Mariloup Wolfe porte un titre évocateur: Les pieds dans le vide. Avec Laurence Leboeuf et Éric Bruneau dans les rôles principaux et un troisième larron du nom de Guillaume Lemay-Thivierge, c'est l'histoire de jeunes bohèmes passionnés par le saut en parachute, mais qui ne savent pas quel sens donner à leur vie. À cet égard, ils sont à des années-lumière de Mariloup Wolfe, une femme de son temps qui n'a pas les deux pieds dans le vide, mais bien vissés sur terre et qui sait exactement où elle s'en va.

> En photos

N'empêche qu'en la voyant pousser la porte d'un petit café-friperie de l'avenue du Mont-Royal, plus petite que je l'imaginais et l'air plus juvénile, j'ai eu un choc. Ou du moins j'ai compris pourquoi Mariloup (qui doit son nom à un jeu de mots volontaire de ses parents un soir où ils en auraient fumé du bon) a si longtemps joué les adolescentes de 16 ans. Non seulement ne fait-elle pas son âge, mais, en personne, elle ressemble comme deux gouttes d'eau à... l'auteure Marie-Sissi Labrèche. Les deux pourraient être des soeurs tant elles dégagent la même énergie, la même fébrilité joyeuse et survoltée. Mais Mariloup serait à coup sûr la plus sage des deux, la plus rationnelle et la plus déterminée.

En l'écoutant raconter comment elle a convaincu le producteur Claude Veillet des Films Vision 4 de la choisir pour réaliser Les pieds dans le vide, on a de la difficulté à imaginer que cette jeune femme ait pu un jour se sentir paumée et perdue comme les personnages de son film. Ce fut pourtant le cas, m'assure-t-elle.

La vie avant Ramdam

Elle avait 19 ans. Deux ans après avoir quitté l'école alternative Face où elle a fait toute sa scolarité depuis la maternelle. Elle n'avait pas encore passé d'audition pour Ramdam, mais savait déjà qu'elle voulait travailler dans le cinéma. Grâce au piston d'un bon copain (Manuel Foglia, pour ne pas le nommer), elle se retrouva stagiaire et troisième assistante sur le film américain Twist of Fate réalisé par Max Fischer.

«Il n'y avait qu'un hic: je ne parlais pas anglais, raconte-t-elle. Je ne sais pas si vous comprenez ce que ça veut dire ne pas parler anglais quand on travaille avec une grosse équipe américaine qui ne parle pas français, mais ce n'est pas un cadeau. Ils m'ont trouvée charmante et déterminée, sauf que ç'a été l'enfer tout l'été. Je ne comprenais rien. Eux ne me comprenaient pas davantage. J'étais tellement frustrée de ne pas pouvoir parler anglais couramment qu'à la fin du tournage, j'ai décidé de laisser tomber l'Université de Montréal où j'étais inscrite pour aller apprendre l'anglais en Angleterre. J'y suis restée six mois toute seule: quatre mois dans un cours de langue à Cambridge et deux mois comme serveuse à Londres. C'était un très gros move pour moi et j'avoue que pendant ces six mois d'exil, j'avais les pieds dans le vide et je me sentais parfaitement perdue.»

De retour à Montréal, Mariloup parle un peu mieux l'anglais, mais ne sait toujours pas ce qu'elle fera quand elle sera grande. Comme elle a horreur du vide, elle s'inscrit en études culturelles à McGill. Elle y reste un an sans se sentir à sa place. L'année suivante, on la retrouve en production cinéma à l'Université Concordia. Les choses commencent enfin à devenir plus claires pour la fille de Marcel Wolfe, psychiatre et grand fan de cinéma, et de Denise Bouchard, peintre et sculptrice. Mais un nouveau coup dur l'attend. En décembre 2000, la mère de Mariloup apprend qu'elle est atteinte d'un cancer du poumon. Elle meurt quatre mois plus tard.

Fonceuse

Ironiquement, c'est cet été-là, alors qu'elle peine à faire le deuil de sa mère partie trop tôt, que Mariloup «naît» professionnellement.

Après des années de figuration et de petits bouts de rôles grâce aux tuyaux de son frère Sébastien qui travaille pour une agence de casting, elle est embauchée pour jouer un des rôles principaux de Ramdam, une nouvelle série télé pour jeunes. Elle y interprète Mariane, une étudiante en mode qui se lie d'amitié avec Manu, un jeune homosexuel aussi passionné de mode qu'elle.

Cet été-là, en plus de tourner 70 épisodes de Ramdam, Mariloup réalise ses premières pubs destinées aux jeunes pour le compte du ministère de l'Éducation.

Comme tout le reste, la pub est arrivée dans sa vie par un hasard qu'elle a en quelque sorte provoqué.

«Avant Ramdam, raconte-t-elle, j'ai travaillé comme secrétaire chez Cartier Communications Marketing, une agence de relations publiques. Un jour, le patron de la boîte m'a demandé de l'aider à faire une soumission pour une campagne sur les jeunes pour le MEQ. En échange, il m'a promis que s'il obtenait le contrat, il me laisserait réaliser la pub. Je me suis dit pourquoi pas? Je n'avais rien à perdre. Le problème, quand t'as un tempérament un peu gutsy comme le mien, c'est que tu t'avances beaucoup et qu'après, tu es obligée de l'assumer. Mon patron a eu le contrat et moi, eh bien, il a fallu que j'assume.»

De toute évidence, Mariloup, une Capricorne ascendant Capricorne, n'a aucun problème à assumer. Et même si cela l'angoisse ou la fait paniquer, elle garde ses frayeurs intimes pour elle et fonce dans le tas sans trop hésiter. C'est ce qui lui a permis de développer de front à la fois une carrière d'actrice et de réalisatrice. Aujourd'hui, Mariloup fait partie de l'écurie de Soma, une maison de production de pubs, aux côtés de réalisateurs comme Stéphane Côté, Frédérik D'Amours et Ricardo Trogi. Bref, elle est en bonne compagnie.

Pourquoi choisir?

En même temps, elle est consciente d'être à un tournant de sa vie.

«D'abord, il faut que je change de casting, dit-elle. Je ne vais quand même pas jouer les ados toute ma vie. J'ai 30 ans. Il serait temps que je joue des femmes de mon âge. Quant à choisir entre la comédienne et la réalisatrice, je ne veux pas choisir. Je veux continuer à faire les deux métiers parce que les deux me stimulent différemment. J'ai d'ailleurs déjà commencé à travailler sur un deuxième projet de film sur la mort avec Alexandre Veilleux. Bref, la réalisatrice est là pour rester.»

N'empêche. Réaliser un premier long métrage n'est pas donné à toutes les comédiennes ni à toutes les jeunes femmes de 30 ans. Mariloup se souvient encore très précisément du jour où elle s'est pointée aux bureaux de Vision 4 pour convaincre le producteur de l'engager.

«J'arrivais du plateau de Michel Jasmin à Québec. J'étais encore toute poupounée et je n'avais pas l'air sérieuse pour un sou. Je savais qu'il y avait deux autres candidats, des gars avec pas mal plus d'expérience, mais je voulais tellement. Le producteur s'est mis à tester ma volonté en affirmant que je n'avais pas assez d'expérience pour entreprendre un aussi gros projet. Autant dire que je ne me suis pas gênée pour lui répondre qu'il se trompait. T'es qui toi pour présumer ainsi de mon inexpérience? lui ai-je demandé. Je n'avais peut-être pas l'expérience des autres, mais ma détermination était telle que je l'ai convaincu.»

Le projet imaginé et scénarisé par Vincent Bolduc a été déposé trois fois avant d'obtenir l'aval de Téléfilm Canada et de la SODEQ.

La réalisatrice dispose d'un budget de 4,1 millions et de 29 jours de tournage, dont cinq journées complètes consacrées aux cascades.

Film commercial et d'auteur

Même si Mariloup vit avec Guillaume Lemay-Thivierge, une des vedettes de son film mais aussi un parachutiste professionnel et propriétaire d'un centre de parachutisme dans la région de Joliette, elle a décidé de tourner en grande partie dans un petit aéroport de L'Île-Perrot au milieu d'une sorte de no man's land qu'elle mettra à sa main.

«Je voulais faire mon propre centre, un lieu qui n'existe pas, mais que je peux imprégner de la mentalité bohème et beach bum. On a commencé à lui donner forme avec des conteneurs qu'on a placés dans un champ. L'esthétique pour moi, c'est très important. Pas au détriment du jeu et des comédiens, mais j'aime créer des univers et des atmosphères.»

En réfléchissant au genre de film qu'elle voulait tourner, Mariloup a vite compris qu'à essayer de plaire à tout le monde, elle finirait par ne plaire à personne.

«Si je ne pensais qu'au box-office, je ne ferais pas le film que j'ai décidé de faire. En fin de compte, mon film va être commercial à cause des vedettes qui y jouent, mais ce sera aussi un projet d'auteur parce que j'y aurai mis toutes mes tripes.»

Avant même la première journée de tournage (qui a débuté mardi), elle disait avoir appris mille choses. Comme quoi?

«Comme le fait qu'un réalisateur, faut que ça s'assume. Par exemple, je voulais que Guillaume porte des dreads. Ç'a pris cinq heures à poser. Il va être pogné deux mois avec ça. C'est sale, ça pue, c'est pas vraiment agréable, mais j'en avais besoin pour le personnage. Le plus dur, c'est de tenir son idée jusqu'au bout sans se laisser influencer et sans avoir peur de décevoir tout cela, en faisant toujours les bons choix.»

Autant dire que Mariloup Wolfe a hérité de tout un contrat cet été. Et même si elle va se retrouver les pieds dans le vide pour le prochain mois, parions qu'elle regagnera plus tard la terre. Sans trop de problèmes.