Richard Desjardins me donne rendez-vous à la brasserie Au coin du métro, boulevard Henri-Bourassa. Son spectacle de samedi à la place Émilie-Gamelin, dans le cadre du Festival Présence autochtone, sera suivi d'une projection du Peuple invisible.

Le documentaire qu'il a réalisé avec Robert Monderie (L'erreur boréale), disponible en DVD aujourd'hui, s'intéresse à la situation des Algonquins du Québec et rappelle entre autres les sévices qu'ils ont subis dans les pensionnats.

Marc Cassivi: Le gouvernement Harper présente ses excuses aux Amérindiens qui ont subi des sévices dans les pensionnats. Qu'en pensez-vous?

Richard Desjardins: Ça me lève le coeur. Harper, c'est un hypocrite. C'est rare qu'un politicien me fasse «rusher» comme ça. Je comprends comment les politiciens peuvent réfléchir. J'ai eu souvent affaire à eux. Mais lui, il commence à me mettre sur le gros nerf. La première chose qu'il a faite quand il est entré au pouvoir, c'est de «scrapper» une entente qui avait été conclue après le rapport Erasmus, à la suite d'une Commission royale d'enquête sur les conditions de vie des Indiens à travers le Canada. C'était considérable. Les recommandations étaient très précises. Sous les libéraux, on en était venu à un forfait d'environ 5 milliards. Et c'était seulement pour viser une certaine égalité dans les conditions de vie des Indiens. Viser, pas atteindre. Atteindre une égalité, ça prendrait 30 ans, selon les calculs des fonctionnaires.

M.C.: Les libéraux étaient sur le point de régler?

R.D.: Ils avaient signé l'entente de Kelowna. Ils étaient sur le point de régler mais il y a eu des élections et Harper a tout «scrappé». Cinq milliards. Si c'est de ça qu'il veut s'excuser, ça va. Mais ce n'est pas de ça. Il a aussi mis la hache il y a deux ans dans un programme de 160 millions qui était destiné aux langues. Un peuple qui n'a pas de langue ne peut pas survivre longtemps. L'objectif des pensionnats, c'était que les jeunes Amérindiens ne sachent plus parler à leur mère, à leur père et à leur grand-père.

M.C.: L'assimilation érigée en système.

R.D.: J'ai entendu ce matin un gars à la radio qui racontait qu'il se faisait battre à coups de bâton de hockey au pensionnat parce qu'il parlait algonquin.

M.C.: S'excuser, ça ne donne rien selon vous?

R.D.: Dans l'histoire des pensionnats, c'est l'Église catholique qui devrait s'excuser. Elle ne s'en est jamais excusée, à ce que je sache. Les milliards qui vont servir à compenser les victimes d'abus dans les pensionnats, c'est nous qui allons les payer, c'est notre gouvernement. L'Église est restée bien tranquille, assise sur ses trésors au Vatican.

M.C.: Pensez-vous que votre film a pu avoir un impact sur le moment choisi par le gouvernement Harper pour faire ses excuses?

R.D.: Non. Il faut qu'il débarrasse. Il me fait penser un peu à Thatcher quand elle disait «Society does not exist». De plus en plus clairement, on voit bien que ce gars-là est comme un représentant de chambre de commerce des intérêts de l'Alberta. Ça m'affole un peu qu'il y ait des gens au Québec qui votent pour lui. C'est vraiment étrange.

M.C.: On m'a dit que vous étiez allé à l'ONU?

R.D.: Il y a un mois. Le film a été présenté dans le cadre de la rencontre annuelle de l'instance permanente des nations autochtones. Il y avait une quarantaine de chefs nationaux, de la Nouvelle-Calédonie à la Sibérie, qui ont vu le film. Le Canada n'a pas permis que le film soit projeté dans le cinéma de l'ONU alors ils ont loué une petite église en face.

M.C.: Le Canada a refusé?

R.D.: Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé. Ils se sont peut-être pris trop tard, mais la permission n'a pas été donnée. En tout cas, le lendemain, le ministre des Affaires indiennes était sur place pour donner une conférence de presse aux Nations unies. Le Canada venait de refuser de signer la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l'ONU. Si Harper s'excuse de tout ça, tant mieux...

M.C.: Avez-vous été surpris qu'Ottawa ne signe pas la Déclaration?

R.D.: Il n'y a rien qui me surprend. Quand on jette à terre une entente négociée depuis cinq ans, à quoi peut-on s'attendre? Ça va être long, mais c'est inexorable la reconnaissance des droits autochtones. C'est un rouleau à asphalte qui avance. Il ne va pas vite mais il ne recule jamais. Toutes les décisions qui ont été rendues depuis 20 ans par la Cour suprême sont en leur faveur. Si les Indiens avaient plus d'argent et qu'ils étaient plus nombreux, ce serait une autre game. Ils sont une quantité politique négligeable.

M.C.: Vous êtes content de l'impact du Peuple invisible?

R.D.: Pas vraiment. C'est pas L'erreur boréale. Il faut croire que les arbres, c'est pas mal plus important que les Indiens... Mais le film va faire son chemin. Il a été présenté le 17 avril à Radio-Canada, en même temps qu'un match Canadien-Boston en séries, et il a quand même été vu par 300 000 personnes. Ça veut dire qu'il y a de l'intérêt. On a essayé avec notre film de contrecarrer cette lame de fond raciste qu'on a vis-à-vis des autochtones. Il y a une ignorance à peu près totale à ce sujet-là. Moi-même, avant de commencer mes recherches, je ne connaissais rien des Algonquins. Pourtant, c'est mes voisins en Abitibi.

M.C.: On reproche souvent aux Canadiens anglais de ne pas connaître un mot de notre langue et notre culture, mais on connaît encore moins celle des Amérindiens.

R.D.: Ça fait 400 ans, et il n'y a pas un Québécois qui est capable de leur dire bonjour ou merci dans leur langue. Le PQ n'a pas été mieux. Il ne se rend pas compte que le référendum a été perdu par quelques dizaines de milliers de votes. L'équivalent de la population d'une petite ville. Les Indiens ne votent pas. Dans le fond, je suis souverainiste, même si je ne m'occupe pas de ça depuis très longtemps. Mais je suis convaincu que si les Indiens étaient de notre bord, ce serait presque une formalité l'indépendance du Québec. Ils ne sont pas beaucoup, mais ils sont partout.

M.C.: La paix des Braves, ça a quand même été un pas en avant

R.D.: C'est un bon modèle. Si tous les Indiens avaient droit à quelque chose qui ressemble à ça, ç'aurait du bon sens. Il n'y a pas de gros barrage en vue dans ces territoires-là. Les Cris s'en sortent mieux que les Algonquins. Ce qui presse, dans leur cas, c'est qu'ils se fédèrent au plus crisse. La division leur fait mal. Ce qui leur manque, c'est 10 000 maisons. Ils n'ont pas d'eau chaude, pas d'eau courante. Ils sont jusqu'à 22 personnes dans une maison à Lac-Barrière, en pleine immensité boréale. On est capable d'organiser des Jeux olympiques et une Exposition universelle dans le temps de le dire. Pourquoi on ne leur construirait pas 10 000 maisons? L'électricité est juste à côté. 10 000 maisons, c'est ça qu'il leur faut.