Heath Ledger est mort le 22 janvier. Quelques mois auparavant, des photos de lui dans la peau du Joker avaient commencé à circuler, et laissaient présager une performance mémorable. Elle l'est. Il était impossible qu'elle ne soit pas de toutes les rencontres de presse tenues dans les semaines précédant la sortie de The Dark Knight. Ceux qui ont côtoyé l'acteur sur le plateau et le réalisateur qui l'y a dirigé avaient des réponses à donner. Peut-être pas celles que l'on imaginait...

«La chose la plus triste, c'est qu'il ne puisse être là pour vous en parler lui-même.» En disant cela, Gary Oldman - qui, dans The Dark Knight, reprend le rôle du lieutenant James Gordon qu'il campait déjà dans Batman Begins - se fait un peu le porte-parole de tous les artisans du film de Christopher Nolan que La Presse a rencontrés à Beverly Hills en vue de la sortie du long métrage tant attendu.

Heath Ledger, qui a succombé le 22 janvier à une surdose accidentelle de médicaments, était en effet de toutes les rencontres de presse. Et sa disparition tragique n'est pas la seule raison de cet intérêt: l'acteur australien âgé de 28 ans au moment de sa disparition serait encore parmi nous qu'il aurait été le principal sujet des entrevues. Le ton aurait été autre, mais la fascination n'aurait pas été moindre. Quiconque a vu The Dark Knight (c'était le cas des journalistes présents) le confirmera: son interprétation du Joker est de celles qui passent à l'histoire.

Les photos, les affiches et les bandes-annonces donnent un aperçu de cette performance... dont l'impact est multiplié par dix lorsque vue en contexte. Dans le film. Parce qu'au-delà de la performance du comédien, il y a l'écriture du personnage. Les deux donnent froid dans le dos. C'est voulu.

«Pour ce rôle, Heath a cherché et trouvé une «fréquence» et il l'a parfaitement syntonisée, poursuit Gary Oldman. C'est arrivé pour Al Pacino dans Dog Day Afternoon, pour Jack Nicholson dans One Flew Over the Cuckoo's Nest.» «Et quand on voit quelque chose comme ça se produire, c'est... c'est incroyable. Vous savez, sur les plateaux, les gens sont souvent blasés. Ils en ont vu d'autres. Là, toute l'équipe était électrifiée par Heath. Tout le monde voulait voir ce qu'il faisait», ajoute Aaron Eckhart qui, lui, incarne un nouveau venu sur la planète Batman/Nolan, le procureur général Harvey Dent qu'une tragédie - une autre, il y en a plusieurs dans l'histoire de David S. Goyer et Christopher Nolan que ce dernier a scénarisée avec son frère, Jonathan - transforme en Two-Face.

Une scène mémorable met alors en présence les deux acteurs, dans un hôpital. «Un moment extraordinaire, se souvient Aaron Eckhart. Au fil du tournage, nous avions commencé à nous découvrir dans la salle de maquillage, au petit matin, parce que nous ne nous connaissions pas avant. Nous n'avons pas répété cette scène en particulier mais quand il a commencé à faire son truc, j'étais toujours le comédien en face de lui mais aussi, un fan. C'était incroyable de le voir.»

Christian Bale, qui reprend ici le rôle de Bruce Wayne/Batman, a pour sa part été initié au Jocker de Heath Ledger dans une scène percutante (un euphémisme) se déroulant dans une salle d'interrogation: «J'ai vu et senti là l'engagement complet que Heath avait envers le Jocker. Je n'ai jamais vu un personnage aussi anarchique ou qui donne autant la chair de poule que celui-là. C'est un Jocker à saveur Clockwork Orange

Un personnage habitant un acteur, quoi. Totalement. Viscéralement. «C'est parce qu'il était un acteur sans peur et charismatique, un type ne faisant rien par vanité, pouvant plonger complètement dans son rôle, capable de prendre des risques - comme il en a pris avec Brokeback Mountain - que j'avais besoin de Heath pour reprendre ce rôle iconique qu'est celui du Joker», raconte le réalisateur Christopher Nolan. Il avait l'acteur en tête avant même que le scénario ne soit écrit.

Ils se sont rencontrés. Ont parlé. Ont partagé leur vision du personnage. Elle était la même. Celle du pire des ennemis. L'incarnation de l'anarchie la plus pure, le porteur du chaos total. Un criminel qui n'a aucun but sinon celui de faire le mal. De fouiller l'âme des autres pour trouver la faille et, à partir de là, y planter son couteau - littéralement et métaphoriquement. «C'était troublant de voir qu'un tel monstre pouvait être créé par une personne aussi gentille», laisse tomber le réalisateur. «Il a fait pour ce film quelque chose de complètement original et quand ça arrive, ça teinte tout le monde autour», assure Maggie Gyllenhaal qui remplace Kathy Holmes dans le rôle de Rachel Dawes.

Mais, comme les autres membres de l'équipe, elle ne croit pas que le Joker ait «contaminé» Heath Ledger. Et Aaron Eckhart de se souvenir du tournage de The Dark Knight comme d'«un plateau où les enfants étaient très présents dans les conversations: Chris est devenu papa pour une troisième fois pendant le tournage, Maggie avait accouché quelques mois plus tôt, Gary a trois fils et Heath nous parlait et nous montrait souvent des photos de sa petite fille.» «Parce qu'il est mort, les gens voudraient une histoire triste, ajoute Gary Oldman. Mais entre les prises, il était lui-même, un garçon formidable qu'il était très facile d'aimer.»

The Dark Knight lui est d'ailleurs dédié. Parce que l'acteur a apporté, beaucoup, à ce film. L'homme aussi.

The Dark Knight prend l'affiche le 18 juillet, en anglais et en français (Le chevalier noir)

Les frais de ce voyage ont été payés par Warner Brothers