Pour Jean Becker, Marie-Josée Croze a fait ce qu'elle n'avait encore jamais fait auparavant : aller au-devant d'un rôle. L'initiative en a valu la peine. Dans Deux jours à tuer, l'actrice québécoise module l'une de ses plus belles partitions.

«Elle m'a donné encore beaucoup plus que je n'aurais pu espérer!» Voilà ce qu'affirme Jean Becker quand on lui demande d'évoquer le travail de Marie-Josée Croze dans son nouveau film.

Le vétéran cinéaste se montre d'ailleurs reconnaissant envers l'actrice, car cette dernière a su donner au personnage qu'elle incarne dans Deux jours à tuer une dimension qui n'était peut-être pas tout à fait apparente sur papier. «Il y a une grande douceur dans le regard de Marie-Josée mais aussi une très grande lucidité, remarque-t-il. Malgré l'incompréhension qui gagne son personnage face au comportement inexplicable du mari, on sent chez cette femme un amour profond, inébranlable. C'est très touchant.»

Ce rôle d'épouse qui tente de comprendre pourquoi son mari, interprété par Albert Dupontel, pète les plombs sans crier gare, Marie-Josée Croze l'a souhaité. Au point de provoquer un peu le destin.

«Un acteur est habituellement tributaire du désir des cinéastes, explique l'actrice, de passage au Québec cette semaine. La plupart du temps, nous sommes choisis. Et nous tenons pour acquis que si le téléphone ne sonne pas, c'est tout simplement qu'on ne nous veut pas. Pourtant, certains acteurs, même au faîte de leur gloire, n'hésitent pas à faire connaître leur désir à un cinéaste avec qui ils ont envie de travailler. C'est ce que Catherine Deneuve avait fait en écrivant à Lars von Trier. Mais en général, on résiste, on est pudique.»

Quand un ami, aide-réalisateur de Laurent Boutonnat sur le plateau de Jacquou le croquant, lui a fait part de l'existence du projet de Jean Becker, l'actrice a, pour la première fois, pris les devants.

Affinités naturelles

De Jean Becker, l'actrice retient bien entendu le film mythique L'été meurtrier, mais aussi le souvenir de tous ces monstres sacrés - Serrault, Villeret et d'autres - qui ont tourné sous la direction du cinéaste.

Dans Deux jours à tuer, Marie-Josée Croze retrouve, un an après Jacquou le croquant, Albert Dupontel, un acteur atypique qui, au premier abord, ne semble pas avoir beaucoup d'affinités naturelles avec l'univers cinématographique de Jean Becker.

«Pas plus que moi d'ailleurs! ajoute-t-elle. Et c'est bien là l'un des grands plaisirs de ce métier. Être acteur, c'est épouser des univers dont on ne se sent pas nécessairement proche. Quand on le fait avec des gens de talent, qui ont une vraie sincérité, on peut trouver la justesse, peu importe le style. Et l'on est alors prêt à tout pour faire honneur à la vision du metteur en scène. Si un acteur ne tournait que des films qui correspondent à son univers personnel, il ne jouerait pas très souvent!»

Marie-Josée Croze affirme apprécier en outre le fait que le travail avec les acteurs soit au coeur de la démarche de Jean Becker.

«Jean est un homme très pudique dans la vie, mais pas du tout dans le travail. Avec lui, il n'y a pas de faux-semblants. J'aime cette approche. Sa vie est intégrée à son travail et j'ai moi-même appris cette notion-là récemment. C'est-à-dire qu'un acteur compose aussi avec ce qui se passe dans sa vie. Il n'est pas à l'extérieur, il n'évolue pas sous une cloche de verre. Il est dans la vie. Mieux vaut alors utiliser ce que la vie nous offre plutôt que de toujours lutter. L'abandon qui en découle est très libérateur.»

Faisant principalement carrière en France depuis cinq ans, Marie-Josée Croze vient tout juste de terminer, sous la direction de Zabou Breitman (L'homme de sa vie), le tournage de Je l'aimais, l'adaptation cinématographique du roman d'Anna Gavalda dans laquelle elle donne la réplique à Daniel Auteuil. Un projet de film avec Tony Gatlif (Gadjo Dilo) devrait en principe se concrétiser aussi à l'automne - elle aurait Marc Lavoine pour partenaire -, mais elle attend que les choses se mettent bien en place avant d'annoncer la chose officiellement.

Visiblement épanouie, heureuse de ses choix, l'actrice regrette un peu que le cinéma français, dont elle est maintenant, incontestablement, l'une des vedettes, n'ait plus chez nous tout à fait la même résonance qu'auparavant. «Je me souviens de l'époque où, au Québec, on découvrait tous ces grands films, ceux de Chabrol, ceux de Blier notamment, avec un bel appétit. J'estime qu'il se tourne encore de très beaux films en France, mais on a l'impression qu'ils ont maintenant plus de difficulté à se rendre ici. Comme si cette voix portait un peu moins bien, un peu moins fort. Peut-être est-ce simplement cyclique.»

«J'ai alors demandé à mon agent de contacter le producteur du film, Louis Becker, le fils de Jean, afin que je puisse lire le scénario. Le rôle, m'a-t-on alors dit, n'était pas très important, mais je m'en foutais complètement. Je préfère de loin travailler avec des gens que j'admire et qui m'impressionnent plutôt que d'aller faire un show dans un film médiocre! Ma priorité, dans l'exercice de mon métier, est d'apprendre, de vivre de belles choses.»

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Deux jours à tuer est présentement à l'affiche.