Jalil Lespert n'est pas le comédien le plus clinquant de sa génération, mais il est sans doute l'un des plus talentueux. Convaincant dans la peau d'une petite frappe de banlieue chez Guillaume Canet (Ne le dis à personne) comme dans celle de George-Marc Benamou chez Robert Guédiguian (Le promeneur du champ de Mars), il se glisse sans peine derrière la caméra pour un premier film prometteur, 24 mesures.

Le film suit un quatuor de solitaires, un 24 décembre. Le titre, d'abord choisi en hommage au jazz qui ne compte que 12 mesures, reflète bien l'état d'esprit de Jalil Lespert. «J'aime bien les coquilles, j'aime bien me tromper», dit-il, depuis la France.

Entouré d'amis - le romancier Yann Apperry, avec qui il cosigne le scénario; les comédiens Benoît Magimel, Lubna Azabal, Bérangère Allaux et Sami Bouajila - , Jalil Lespert raconte dans ce premier film un conte de Noël sombre, situé quelque part entre la misère et le désespoir.

Le film s'ouvre en un long plan-séquence, sur un matin gris. Helly (Lubna Azabal) se rhabille, péniblement, traverse un couloir, croise des hommes, quémande de l'argent. Malaise. «Il fallait que ce personnage parte de loin, du pire qui peut arriver à une jeune femme. J'avais envie d'une entrée en matière très violente», justifie Jalil Lespert.

Les visages font le paysage


Chaque personnage vit seul, en rupture avec sa famille. Ce fil conducteur est né, pourtant, d'un processus d'écriture inconscient. «J'avais l'espace-temps, les quatre personnages, et en même temps je voulais une espèce de magma qui jaillirait avec l'écriture automatique. D'où la structure: c'est une structure non pas cinématographique, mais musicale, celle du jazz», soutient le réalisateur.

Dans 24 mesures, la caméra suit et scrute au plus près les figures des acteurs, tous très solides dans leur interprétation. Les visages laissent peu de place aux décors, renforçant l'étouffement. «Je filme un peu comme je sens. Je ne réfléchis pas trop, à tort, peut-être, mais je voulais que les visages des acteurs soient le paysage», explique Jalil Lespert.

Dans ce chorus lunaire et solitaire, Jalil Lespert ne s'est gardé aucun rôle. Jouer sous sa propre direction est une idée plutôt incongrue pour le comédien. «En me mettant devant la caméra, j'ai le sentiment de me mettre devant un miroir, et de me trouver beau. Et comme ce n'est pas le cas, j'évite.»

La mise en scène et la direction d'acteurs l'ont suffisamment inspiré pour que Jalil Lespert, qui a deux projets de films sous son bras, retente bientôt l'expérience, pour le théâtre cette fois. «J'aime les acteurs, j'aime les amener quelque part (...) Tout ce qui m'intéresse dans la vie, c'est le cinéma. À travers l'actorat, la mise en scène. J'avoue que cela me permet de le vivre pleinement.»