C'est un tournant dans l'histoire du vin que relate le film américain Bottle Shock, qui sort cette semaine en Amérique du Nord: le jour de 1976 où les vins californiens avaient été jugés supérieurs à des crus français lors d'une dégustation «à l'aveuglette».

Controversé dès sa projection au Festival de Sundance l'hiver dernier, le film, qui a peiné jusqu'ici à convaincre la majorité de la critique, raconte cette histoire vraie, mais sur le mode de la fiction, dans le cadre enchanteur des collines de Napa, saint des saints de la viticulture américaine.

Alan Rickman y incarne Steven Spurrier, un oenologue et négociant en vins britannique qui avait mis sur pied cette compétition destinée à marquer les 200 ans de la déclaration d'indépendance des États-Unis et qui est passée à la postérité sous le nom de «Jugement de Paris».

Signé Randall Miller, Bottle Shock montre comment des experts français avaient testé des vins californiens et français, sans savoir desquels il s'agissait.

À la stupéfaction du monde du vin français, qui était alors considéré comme bien supérieur aux autres, 11 experts renommés avaient unanimement encensé les vins américains, les jugeant supérieurs à certains grands crus français.
 
Bottle Shock parle d'un «moment dans les années 1970 où les choses ont changé, où les gens n'étaient soudain plus honteux de boire du vin californien», avait expliqué aux journalistes à Sundance le scénariste Jody Savin.

Pour Bo Barrett, un viticulteur de la Napa Valley, en Californie, dont le père avait remporté la compétition avec un Chardonnay, c'est «l'histoire d'un moment déclencheur dans l'industrie du vin californien, quand nous avons été brusquement admis dans la Ligue des champions».

M. Barrett, interprété dans le film par le comédien Chris Pine, souligne que le verdict de 1976 a aussi eu un effet en Australie, Argentine, Afrique du Sud et dans d'autres pays qui ont vu un potentiel pour leurs propres vins : «L'industrie mondiale du vin était née», a-t-il dit.

Mais M. Spurrier, qui a organisé en 2006 un nouveau «jugement de Paris» pour marquer les 30 ans du premier, compétition dont les vins californiens sont à nouveau sortis vainqueurs, a accusé le film de colporter des mensonges et ses réalisateurs de «diffamation et de grossier contresens».

«Il n'y a pas plus d'un mot de vrai dans le scénario et beaucoup, beaucoup de pures inventions, à ma connaissance», a-t-il déclaré au magazine Decanter.

Il s'est d'ailleurs impliqué dans la réalisation d'un film concurrent visant à présenter une version «officielle» de la dégustation de 1976.

M. Spurrier ne semble pas être le seul à considérer Bottle Shock avec méfiance: le site Internet Rotten Tomatoes, qui compile les critiques de cinéma, constatait mercredi que seules 40 % de celles-ci envers le film étaient positives.

Parmi elles, celle du célèbre critique du Chicago Sun-Times Roger Ebert, qui a estimé que Bottle Shock constitue une adaptation «charmante» de cette histoire vraie, et «traite aussi de gens qui aiment leur travail, s'en occupent avec passion et en parlent avec érudition».

Mais dans le Village Voice de New York, Robert Wilonsky a regretté que ce scénario «formidable» n'ait pas donné un film à sa hauteur, malgré la performance de Rickman. Bottle Shock hésite selon lui entre plusieurs genres, comédie à la Sideways, thriller ou étude de moeurs.

«Le film aurait dû être comme Rickman: pétillant et léger, avec juste une pointe d'acidité. Au lieu de cela, c'est une grosse gorgée de vinaigre», écrit le critique.