Isabelle Huppert était hier de passage à Montréal afin de recevoir un Grand Prix spécial des Amériques pour l'ensemble de sa carrière. Home, le premier long métrage d'Ursula Meier, dans lequel elle donne la réplique à Olivier Gourmet, clôturera le FFM lundi.

Reconnue pour ses personnages «intenses», l'actrice tournera bientôt une franche comédie sous la direction de Jean-Marie Poiré, le réalisateur du film culte le Père Noël est une ordure. La Presse a rencontré Isabelle Huppert.

Q : Vous êtes l'une des actrices les plus primées de la scène internationale. Vous comptez notamment deux prix d'interprétation à Cannes (Violette Nozière en 1978 et La pianiste en 2001), de même que de nombreux autres trophées. Que signifient les récompenses pour vous à cette étape de votre carrière?

R : Chaque récompense a sa signification, selon qu'elle est liée plus particulièrement à un rôle ou pas. Je trouve très beau ce prix qu'on me remet à Montréal car il évoque aussi la reconnaissance de tous les films. Ceux que j'ai faits et ceux que je ferai. Et à travers eux, il salue aussi le travail de tous les metteurs en scène.

Q : Home, qui a déjà été présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique du Festival de Cannes un peu plus tôt cette année, se distingue par son caractère étrange, de même que par cette façon d'amener une situation au bout de sa folie. Cet univers si particulier était-il déjà distinctif à la lecture du scénario?

R : Tout à fait. Ce n'était pas une écriture habituelle. Cela étant, il faut ensuite que les choses s'incarnent. Le film peut être à la fois vu comme une métaphore sur la civilisation, ou une allégorie sur la violence du monde extérieur et la violence des relations familiales. Bref, cette histoire peut se lire sur plusieurs niveaux. Cela dit, il m'a fallu un peu de temps avant d'accepter cette proposition. J'étais hésitante, mais après coup, j'étais heureuse de l'avoir fait. Ursula est une vraie cinéaste.

Q : Après plus de 30 ans de carrière, une actrice peut-elle présumer de la réussite artistique d'un film dès l'étape du tournage?

R : Pas du tout. En tout cas pas moi. Je n'ai pas cette capacité. En revanche, je sais là où il y a vraiment du cinéma. Comme une intuition. Quand je sens qu'un metteur en scène a ses images dans la tête, c'est déjà un bon départ.

Q : Plusieurs des personnages que vous incarnez à l'écran, dont celui de Home, sombrent dans un déséquilibre psychologique très grave, ou, à tout le moins, affichent leurs failles

R : Même si un personnage est écrit de façon plus linéaire, j'aime toujours en explorer les failles, si le metteur en scène est d'accord bien entendu. J'aime les personnages qui ont en eux des choses non élucidées. C'est ce qui m'intéresse. Cela va au-delà du mystère, qui est une notion un peu réductrice. Je préfère plutôt dire d'un personnage qu'il est proche de sa réalité, en ce que celle-ci recèle de part d'inconnu et d'étrangeté.

Q : Idéalement, qu'attendez-vous d'un metteur en scène?

R : Idéalement? Je souhaite qu'il m'aime à 100 %! Qu'il ait envie de me raconter à 360 degrés! Je retrouve cela avec Chabrol notamment, mais c'est rare. Chabrol, j'ai le sentiment que je l'intéresse. Même chose avec Benoît Jacquot. Je donne pratiquement mon accord à ces cinéastes de façon inconditionnelle car l'idée de tourner avec eux me plaît. En leur compagnie, je suis en liberté totale. En liberté «surveillée» plutôt. Parce qu'on ne peut évidemment pas faire n'importe quoi!

Q : Vous avez enchaîné plusieurs tournages au cours des derniers mois. Outre Home, vous avez tourné au Cameroun White Material de Claire Denis, et au Cambodge, Un barrage contre le Pacifique de Rithy Panh, une adaptation du roman de Marguerite Duras. On compte aussi Villa Amalia de Benoît Jacquot, d'après l'oeuvre de Pascal Quignard.

R : Et nous avons tourné Home en Bulgarie parce qu'il nous fallait trouver un paysage particulier. Pour moi, la notion du jeu est aussi liée au voyage. Elle évoque évidemment des sentiments mêlés, particulièrement dans les pays aux prises avec des problèmes très durs. Cela devient alors une expérience de vie. Le cinéma est un art universel qui a quand même la particularité de se distinguer selon le pays dont il est issu. Je ne connais pas bien le cinéma qui se fait chez vous - il est plutôt mal distribué en Europe - mais j'aimerais bien venir un jour tourner ici. Je serais ravie de travailler sous la direction de Denys Arcand bien sûr!

Q : Avec la réputation qui est la vôtre et les propositions qui en découlent, avez-vous l'embarras du choix?

R : J'ai plutôt l'embarras du «non choix»! Personne n'a l'embarras du choix. Aucune actrice n'a de piles de scénarios sur son bureau. Paradoxalement, je sors d'une période intense et j'ai maintenant plus de facilité à goûter les choses qui ne sont pas liées à mon métier. Auparavant, c'était l'attitude «hors du cinéma, point de salut». J'ai maintenant plus envie d'entrevoir une pratique du plaisir qui ne passe pas uniquement par le théâtre ou le cinéma.

Q : Holly Hunter a déjà déclaré qu'il était très difficile pour une actrice américaine plus mûre de décrocher des rôles intéressants. Elle disait envier votre carrière. «Je n'en reviens pas de la richesse des rôles auxquels Isabelle Huppert a accès!» avait-elle lancé un jour au cours d'une rencontre de presse.

R : Holly Hunter a dit ça? Je dois reconnaître que j'ai de la chance, en effet. En Amérique, l'illusion est très forte par rapport à la réalité. Les actrices américaines ont, en fait, beaucoup plus de mal. C'est tout à fait vrai.

Q : Vous allez tourner bientôt Des parents formidables sous la direction de Jean-Marie Poiré, le réalisateur des films Le Père Noël est une ordure et Les Visiteurs...

R : (très surprise) Oui! Comment vous savez?

Q : On se renseigne. A-t-on raison de s'étonner de ce choix?

R : Cela vous surprend? Mes partenaires sont Christian Clavier et Gérard Lanvin. Nous allons commencer le tournage au mois de décembre en Thaïlande. La vérité, c'est que j'ai adoré Mes meilleurs copains. Et puis, j'ai bien le droit de faire une comédie! Mais là, il ne s'agit même pas d'une comédie détournée comme 8 femmes (François Ozon). Quand on parle d'un film de Poiré, il n'y a aucune fausse représentation. On est dans la franche comédie. Cela ne peut pas être plus clair, ni plus assumé. Mais je ne peux vous en dire plus pour l'instant!