Elle semble bien loin l'époque où, alors parfaitement inconnu, Gael García Bernal s'était retrouvé à devoir dénicher une chambre avec les moyens du bord à Cannes afin d'accompagner sur la Croisette un film réalisé par un certain Alejandro Gonzalez Iñárritu, sélectionné dans une section parallèle.

C'était il y a huit ans à peine. Amores Perros a fait sensation à la Semaine de la critique, et le jeune acteur a commençé alors une ascension qui, très vite, l'amènerait vers les plus hauts sommets de la profession.

 

«Huit ans déjà? Bon sang! Il me semble que c'était hier à peine!» s'étonne l'acteur quand on lui rappelle cet épisode au cours d'une entrevue réalisée il y a quelques semaines pendant le Festival de Toronto.

Il a pourtant fait un beau bout de chemin depuis cette époque. Choisissant ses projets avec minutie, Bernal a tourné sous la direction de plusieurs pointures du cinéma international, dont Alfonso Cuaron (Y Tu Mama Tambien), Walter Salles (Carnets de voyage), Pedro Almodovar (La mauvaise éducation), Michel Gondry (La science des rêves), Jim Jarmusch (The Limits of Control prendra l'affiche dans quelques mois) et, bientôt, Lukas Moodysson (Mammoth). Il a aussi pris le temps de passer derrière la caméra pour réaliser un premier long métrage (Déficit), et il s'implique de plus en plus dans la production. Il a notamment agi à titre de producteur délégué pour Voy a explotar, un film de Gerardo Naranjo sélectionné au Festival du nouveau cinéma, qui commence la semaine prochaine à Montréal.

«Tout cela est venu de façon un peu inattendue, explique-t-il. Quoiqu'en y réfléchissant bien, ce «glissement» vers une plus grande implication dans le milieu du cinéma ne relève pas du hasard.»

Pourtant, le cinéma ne figurait pas du tout au départ dans les plans de cet acteur qui, aujourd'hui, tente de saisir tous les rouages d'un art qui le passionne.

«Quand j'étais jeune, seul le théâtre comptait pour moi. Parce que mes parents en faisaient aussi, je croyais fermement que mon destin s'y trouvait. Je regardais ainsi le cinéma comme un art qui m'était moins accessible, et qui m'attirait surtout sur le plan de la réalisation. De là provient peut-être cette implication plus grande aujourd'hui. Je fais partie de ceux qui veulent toujours en savoir davantage, et dont l'expérience sur les plateaux nourrit la réflexion sur ce métier. Je veux savoir ce qu'est le cinéma.»

Gael García Bernal estime en outre que les vrais moments de cinéma se révèlent d'eux-mêmes, parfois même à l'étape de leur fabrication.

«C'est difficile à expliquer. C'est quelque chose qui va au-delà de la rationalisation et qui s'impose d'évidence. Au cinéma, il y a parfois des agencements d'images qui confèrent à la poésie, même si cela peut être très bref. Quand je tourne en tant qu'acteur, je pense avoir l'instinct de savoir si le réalisateur parviendra à rendre justice à son point de vue. Mais je me suis aussi parfois trompé!»

De beaux risques

Stimulé par la vision du cinéaste avec qui il travaille, l'acteur dit être un «bon petit soldat», dans la mesure où il ne remet jamais en question l'approche d'un réalisateur dont le point de vue est solide et cohérent.

«C'est d'ailleurs ce qui m'a plu dans l'approche de Fernando Meirelles sur le plateau de Blindness, fait-il remarquer. Je connaissais déjà bien le roman de José Saramago et je savais que plusieurs cinéastes avaient déjà tenté de le porter à l'écran. Fernando y est parvenu en prenant des risques. J'étais d'autant plus ravi qu'au moment où il m'a téléphoné, je ne pouvais pas du tout deviner lequel des personnages m'était destiné.»

Dans Blindness, un film qui met aussi en vedette Julianne Moore, Mark Ruffalo et Danny Glover, Gael García Bernal se glisse ainsi dans la peau du «roi du dortoir 3», le chef d'une bande de patients plus «radicaux», entassés dans une aile d'une institution spécialisée. On y retrouve des «malades» contaminés par un mystérieux virus qui les rend aveugles.

«Ce qui m'intéresse particulièrement dans cette histoire est le débat philosophique qui en découle. Dès que survient une catastrophe, plusieurs êtres humains ont tendance à mettre leurs beaux principes de côté pour sombrer dans des instincts plus primaires.»

Encore plus au fait des responsabilités liées au métier de cinéaste depuis qu'il a réalisé Déficit, dans lequel il s'était aussi donné un rôle, l'acteur mexicain a évidemment trouvé matière à nourrir sa réflexion à propos de la notion de démarche artistique, mais il apprécie aussi d'autant plus sa condition d'acteur.

«Depuis que j'ai goûté à la réalisation, c'est un cadeau de pouvoir simplement s'abandonner dans la vision d'un autre!» dit-il.

Gael García Bernal compte réaliser son deuxième long métrage l'an prochain. «Je préfère prendre mon temps. J'estime qu'il est important d'avoir quelque chose à dire avant de prendre la parole à travers un film.»

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Blindness (L'aveuglement en version française) prend l'affiche aujourd'hui.