Toute une vie, marquée par des pas sur le sable, au gré de voyages de proximité ou plus lointains. Avec Les plages d'Agnès, la légendaire cinéaste Agnès Varda se raconte à travers son oeuvre d'artiste. Et sa vie de femme.

«Je suis chanceuse d'être en vie. J'ai cette énergie de vivre. Cela dit, je suis vieille. Ma mémoire s'en va tranquillement. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu tracer cet autoportrait.»
Agnès Varda, encore toute verte à 80 ans, est très allumée. Et toujours tournée vers son époque. Devant quelques journalistes réunis devant elle, elle s'enthousiasme pour les nouvelles technologies, s'emballe à l'idée d'aller présenter l'an prochain une installation à San Francisco et à Boston. Le mois dernier, la vénérable cinéaste se trouvait au Festival de Toronto afin d'accompagner la présentation de son nouveau film documentaire, Les plages d'Agnès, programmé aujourd'hui même au Festival du nouveau cinéma de Montréal.

Allégorie impressionniste dans laquelle sont aussi intégrées des scènes tirées de ses films précédents, Les plages d'Agnès est né le jour où, sur la plage de Noirmoutier, la réalisatrice s'est rendu compte à quel point différentes plages avaient marqué certaines étapes de sa vie.
«Comme je n'aime pas beaucoup parler de moi, le processus fut assez long, dit-elle. Je voulais que tous ces souvenirs se dessinent de façon très organique, à travers des images. Un peu à la manière d'un puzzle qui se construirait peu à peu. Offrir ma vie comme autant de possibilités dans lesquelles mes contemporains peuvent se reconnaître.»

D'abord photographe, Agnès Varda s'est tournée vers le cinéma en 1954 avec La pointe courte, un film précurseur de la Nouvelle Vague, conçu dans un esprit de liberté créatrice totale.
«Il ne pouvait pas en être autrement dans mon esprit, explique celle qui se réclame du mouvement féministe. Les seules femmes qui faisaient du cinéma à cette époque suivaient des voies tracées d'avance pour elles. Et le cinéma utilisait alors un langage qui s'apparentait encore beaucoup au théâtre. C'était aussi un temps où le domaine des arts était en ébullition. Je voulais être du mouvement. J'estimais qu'il était important de faire du cinéma un art plus contemporain.»
«Cléo de 5 à 7 procède de cette dynamique-là, poursuit-elle. À mes yeux, le cinéma doit engendrer du cinéma en tant que forme d'art. Je n'ai d'ailleurs jamais rien adapté. Je me suis toujours lancée dans des projets qui avaient à mes yeux une signification, quitte à devoir patienter. Un plan de carrière, très peu pour moi!»

Un regard lucide

Agnès Varda a aussi tenu à intégrer dans son récit tous les aspects de son travail d'artiste, notamment les clichés qu'elle a captés lors de ses séjours en Chine en 1957, ou à Cuba en 1962. Mettant aussi à contribution ses proches, notamment ses enfants et ses petits-enfants, elle orchestre par ailleurs un ballet à travers lequel elle fait écho à son sentiment de filiation.

«Ils ont été formidables de se prêter à ce jeu. Je trouvais très belle cette idée de famille élargie en tant que groupe.»

Elle trouve le monde en bien mauvaise posture aujourd'hui. «Tu regardes les informations et tu n'as qu'une envie: aller te coucher, tellement c'est déprimant!» Elle déplore le recul sur les droits sociaux, notamment par rapport aux femmes.

«La cause des femmes est en net recul, estime-t-elle. Le féminisme a encore sa raison d'être et nous devons toujours rester vigilantes.»

Une partie de son film est évidemment consacrée à Jacques Demy, le compagnon cinéaste, l'amour de sa vie, mort du sida il y a 18 ans. «À cette époque, le sida était carrément une condamnation à mort, fait-elle remarquer. J'ai toujours autant de chagrin, mais je peux aujourd'hui poser sur cette partie de ma vie un regard plus serein qu'à l'époque où j'ai fait Jacquot de Nantes. Vous savez, j'ai eu mes joies et mes peines, comme tout le monde, mais je n'ai jamais eu à subir d'épreuves traumatisantes. Je suis une privilégiée. J'ai été photographe, je suis cinéaste, j'ai eu un mari, des enfants, toute une vie de travail artistique. Je me nourris auprès des autres. N'est-ce pas la plus belle chose qui soit?»
Les plages d'Agnès d'Agnès Varda. Aujourd'hui 13h au Quartier latin.