On le dit fermé, muet et ennuyeux en entrevue. «Avec la presse française», avoue Guillaume Depardieu. Celui qui se présente aux journalistes québécois est chaleureux, charmant, accueillant.

La rencontre a lieu à 20 minutes de Paris, non loin de Versailles, dans la demeure de maman... qui habite tout juste à côté de chez fiston, à Bougival. Une banlieue cossue où les Depardieu ont emménagé après le succès des Valseuses (1974).

La Ville lumière semble à des milles, et c'est tant mieux pour l'acteur de 31 ans qui se déplace difficilement. Une virée à moto qui a effroyablement mal tourné, il y a sept ans, l'oblige à se déplacer avec des béquilles depuis. Les douleurs à son genou droit sont insoutenables et perpétuelles. «J'ai eu la jambe coupée en deux, le bras cassé, deux doigts arrachés, explique Depardieu. Et j'étais pianiste à l'époque. J'ai subi de nombreuses opérations, en vain.»

Le supplice achève toutefois. «On va me couper la jambe... dit-il calmement. On ne peut plus opérer. Ça me soulage. Franchement. Non seulement c'est très douloureux, mais je ne peux la plier. Je ne peux prendre ma femme, ce qui est quand même important pour un homme, ni promener ma fille seul. Elle a deux ans et se déplace maintenant plus vite que moi. C'est pas une vie, quoi!»

Significative, l'opération lui permettra de contempler la vie d'un autre oeil, de faire une croix définitive sur un passé tumultueux (drogue, prison) et des frustrations de jeunesse

«Petit, je trouvais que mon père tournait trop, et pas que dans de bons films. Je ne le voyais jamais, et il ne m'aidait pas. Quand il était à la maison, il n'était jamais vraiment présent. J'avais besoin de lui, mais il ne faisait aucun effort. Je l'ai alors envoyé promener! J'ai coupé les ponts. J'ai recommencé à discuter de manière intéressante avec lui à 25 ans après avoir compris pourquoi il avait cette faiblesse. Et parce que je me suis aperçu que ce n'était pas facile de pratiquer ce métier qui vous prend tout.»

Un métier dans lequel il est tombé, justement parce qu'il était le fils de Gérard. «Je n'ai rien demandé. On est venu me chercher. C'était la musique et la réalisation qui m'intéressaient. Mais j'étais tout de même curieux d'aller devant la caméra.»

Il avait 18 ans. C'était dans un téléfilm. «Je jouais un mec qui tue par amour.» Puis, il y a eu Tous les matins du monde de Corneau... avec papa. Aime ton père, encore avec papa, arrivera bien des années plus tard. «Il y avait des choses vraies que je connaissais dans cette histoire: un père connu, écrasant, avec une personnalité un peu envahissante, qui prend tout l'oxygène dans une pièce. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai quitté la maison. Ça ne peut marcher quand il y a deux coqs dans la basse-cour... Mais après avoir fait la paix, j'estimais qu'il était intéressant d'en parler.»

S'il a joué dans quelques comédies, Guillaume Depardieu attire davantage les perturbés. Le policier qu'il incarne dans Le pharmacien de garde, premier film (franchement raté) de Jean Veber (le fils de Francis), en salles aujourd'hui, le prouve. À la recherche d'un meurtrier en série, François Barrier (Depardieu), flic déprimé et écolo dans l'âme, se lie d'amitié avec... le meurtrier (Vincent Perez, qui retrouve Guillaume après l'avoir dirigé dans Peau d'ange). Ce dernier, un pharmacien aux pouvoirs surnaturels, s'est juré de faire payer tous les pollueurs de la terre!

Étonnamment, c'est d'abord pour l'histoire et non le rôle proposé que Guillaume Depardieu accepte habituellement de s'engager dans un projet. «Les rôles, en fait, je m'en fous un peu. J'embarque quand les histoires me font rêver.»

Un autre tandem Depardieu-Veber est-il né? «Je ne sais pas. Mais il est vrai que je trouve certaines choses de Francis chez Jean, parce que j'ai vu tous les films que Francis a faits avec Gérard. L'inquiétude, sur le plateau, pour que tout soit parfait en est une. Une attitude légitime mais qui peut bousiller une scène. Moi, je suis un homme de la première ou de la seconde prise. À la dixième, je dis merde! Je ne ressemble pas du tout à mon père sur un plateau. Je suis du genre à gueuler pour mettre les gens dans l'urgence.»

Difficile à croire, tellement l'homme devant nous est calme, posé, serein. Il dit aimer le jeu, même si jouer est synonyme de souffrance à cause de sa jambe. «Je mordais constamment un bout de bois sur le plateau du Pharmacien de garde pour que rien n'y paraisse, dit-il. Je déteste tout ce qui entoure le jeu, qui le parasite. Les contraintes, la peur d'oser, le manque de fantaisie. La promotion également, même si c'est indispensable. On n'y échappe pas!»

Dans un avenir rapproché, «tout ce qui entoure le jeu» pourrait moins peser. Piloter ses projets est de plus en plus urgent. «Et pas forcément pour raconter mes histoires. Je préfère raconter celles des autres et y mettre un peu du mien. J'aime bien les énergies qui se confondent et se complètent. Mais pour ça, il ne faut pas être sourd ni aveugle. J'ai l'âme d'un chef. J'aime organiser. De toute façon, je ne peux plus tellement faire autrement à cause de mes problèmes de santé.»

Réaliser mettra fin pour de bon au jeu des comparaisons avec le paternel. Un soulagement pour celui qui a longtemps trouvé son nom de famille très lourd à porter.

«Maintenant, je m'en fous. Pas lorsque j'étais enfant ou adolescent et que j'avais besoin de repères. J'ai étudié dans les écoles publiques avec des gens qui ne baignaient pas du tout dans mon univers. J'avais droit aux réactions les plus abjectes, insensées et drôles à cause de mon nom. Alors que j'ai une nature farouche, indépendante et rebelle. Depuis toujours, ce que j'aime c'est la différence.»