En 2003, une rencontre promotionnelle en vue de la sortie du Pharmacien de garde, un très mauvais film de Jean Veber, m'a menée à Bougival, le patelin cossu de Guillaume Depardieu.

Sa réputation d'artiste ennuyeux et taciturne, qui déteste les journalistes, m'avait vite fait conclure que cette visite de la banlieue ouest de Paris serait davantage touristique que l'occasion d'une véritable entrevue de fond.

Devant la porte de chez sa mère, qui habitait tout juste à côté de fiston, le fils de Gérard est arrivé lentement, avec ses béquilles qui ne le lâchaient jamais à l'époque, depuis un terrible accident de moto. En compagnie de deux autres journalistes québécois, nous avons pris place dans la salle à manger, puis l'acteur a prévenu qu'il répondrait à nos questions aussi longtemps qu'on le désirait. Ah bon?

 

Ainsi Guillaume Depardieu n'était pas si fermé? «Seulement avec la presse française», a dit celui dont les moindres faits et gestes ont souvent fait la manchette dans l'Hexagone, du temps où il était rebelle, revendeur de drogue, fêtard et insouciant à moto.

On n'a donc pas boudé notre plaisir en compagnie de l'acteur, sympathique et chaleureux. Ouvert et bouleversant. «Petit, je trouvais que mon père tournait trop, et pas que dans de bons films. Je ne le voyais jamais, et il ne m'aidait pas. Quand il était à la maison, il n'était jamais vraiment présent. J'avais besoin de lui, mais il ne faisait aucun effort. Je l'ai alors envoyé promener! J'ai coupé les ponts. J'ai recommencé à discuter de manière intéressante avec lui à 25 ans, après avoir compris pourquoi il avait cette faiblesse. Et parce que je me suis aperçu que ce n'était pas facile de pratiquer ce métier qui vous prend tout.»

S'il est tombé dans le métier grâce à papa, à 18 ans, l'acteur semblait vouloir, lui, être très présent auprès de sa fille. Même handicapé. C'était quelques mois avant qu'il se fasse amputer la jambe. À 31 ans... «On va me la couper... a-t-il lancé calmement devant les journalistes muets. On ne peut plus opérer. Ça me soulage. Franchement. Non seulement c'est très douloureux, mais je ne peux la plier. Je ne peux prendre ma femme, ce qui est quand même important pour un homme, ni promener ma fille seul. Elle a 2 ans et se déplace maintenant plus vite que moi. C'est pas une vie, quoi!»

Brûler la chandelle par les deux bouts, surtout à l'adolescence, puis périodiquement ensuite, a fragilisé l'acteur. Foudroyé dimanche par une pneumonie alors qu'il tournait en Roumanie, Guillaume Depardieu est parti trop rapidement. Cela dit, la vie des rebelles, avec ou sans cause, semble destinée à prendre fin trop tôt.

À 37 ans, celui qui avait réussi à se faire une place loin de l'ombre de son père, avait encore tout à jouer. Mais tel homme pouvait-il avoir un autre destin?