Oliver Stone avait promis un «portrait juste et véridique», et non «un pamphlet politique», du président George W. Bush lorsqu'il s'est lancé dans le tournage de W.

Il a tenu parole. Loin de faire passer le président américain pour l'imbécile qu'on aime à décrire, le réalisateur de Nixon et de JFK tente plutôt de cerner l'homme qui se cache derrière le politicien, avec ses hauts et ses bas, ses zones d'ombre et ses doutes.

Si la cote de popularité de Bush est à son plus bas, à trois mois de son départ de la Maison-Blanche, elle ne devrait pas chuter davantage à cause de ce film. Si ça se trouve, le principal intéressé pourrait même y trouver de quoi se consoler. Stone brosse même un portrait laudatif, à la limite de la complaisance, d'un homme propulsé vers le sommet par sa foi et resté en poste grâce à sa confiance quasi aveugle en ses conseillers politiques.

W. ne fait pas de George W. Bush un saint ni un démon. Seulement un homme en proie à des démons intérieurs, qui trouvera dans le mouvement fondamentaliste Born Again Christian la force de surmonter les épreuves (dont son alcoolisme) et d'accéder à la Maison-Blanche. «J'ai reçu un appel de Dieu», dira-t-il à son pasteur favori, pour expliquer sa mission divine.

Cette foi inébranlable ne lui sera toutefois d'aucun recours contre le plus grand drame de sa vie, celui d'avoir à vivre dans l'ombre de son père, George Bush (James Cromwell), qui lui a toujours reproché ses frasques. «Pour qui te prends-tu? Un Kennedy?» Pour Bush père, c'est son autre fils, Jeb, gouverneur de la Floride, de sept ans le cadet de George, qui était promis au plus bel avenir. W ne l'a jamais pris.

 

Le scénario de Stanley Weiser (Wall Street) accorde une large place à la garde rapprochée du président, au premier rang le vice-président Dick Cheney (Richard Dreyfuss), le sécrétaire à la Défense Donald Rumsfeld (Scott Glenn), la secrétaire d'État Condoleezza Rice (Thandie Newton), le chef d'état-major des armées Colin Powell (Jeffrey Wright), le secrétaire adjoint à la défense Paul Wolfowitz (Dennis Boutsikaris) et son principal conseiller stratégique, Karl Rove (Toby Jones).

Ces personnages occupent le haut du pavé, à l'occasion de longues séquences où l'état-major américain discute de l'invasion de l'Irak et des armes de destruction massive supposément détenues par Saddam Hussein. Stone démontre clairement les rôles opposés joués par la colombe Powell et l'aigle Cheney. L'agenda caché de l'administration Bush est on ne peut plus clair : envahir l'Irak pour mettre la main sur les immenses réserves de pétrole du Moyen-Orient. Rien qu'on ne savait déjà. «Il n'y a pas de solution pour se sortir de l'Irak. Nous sommes là pour y rester», lance même Cheney.

W. est éloquent dans ce qu'il montre, mais aussi dans ce qu'il ne montre pas. Aucune allusion sur l'élection controversée de W. Bush en Floride, avec l'aide de son frère Jeb, qui lui a permis de battre Al Gore. À l'inverse, on se demande pourquoi Stone a tenu à montrer l'anecdote où il s'étouffe avec un bretzel, en regardant un match de football. Difficile de résumer une vie et deux mandats d'un président aussi controversé en deux heures, mais les choix de Stone sont pour le moins sujets à caution.

Le portrait n'est pas toujours rose. Stone offre quelques moments de dérision, dépeignant Bush fils comme un quelqu'un qui parle la bouche pleine, se récure les dents avec les doigts et s'avoue soulagé de recevoir un rapport de seulement trois pages. Le réalisateur pousse aussi le cynisme à le montrer, lui et sa bande de conseilleurs, discourir sur l'Irak, lors d'une marche de santé sur son ranch, au son de la vieille chanson Robin Hood, de Carl Sigman.

On pourra dire tout le bien ou le mal qu'on voudra de W., mais certainement pas douter du talent de Josh Brolin à se glisser dans un rôle aussi casse-gueule. Le mimétisme est remarquable (apparence, voix, démarche), à l'exception du sourire un peu benêt du vrai W. Bush, étrangement absent du visage de son alter ego.

W. s'ouvre et se ferme sur une allégorie de baseball, alors que le président (ex-propriétaire des Rangers du Texas) évolue comme voltigeur, dans un stade... vide. Au dernier plan, le dos à la piste d'avertissement, Bush perd la balle de vue. Un peu plus et c'est ce qui arrivait à Stone avec son sujet.