Après avoir été présenté à Cannes et à Toronto, Un conte de Noël ouvre ce soir le Festival Cinémania. Le nouveau film d'Arnaud Desplechin s'inscrit dans la continuité d'une oeuvre singulière, construite sur la complexité des relations intimes et familiales.

De l'aveu même du cinéaste Arnaud Desplechin, Un conte de Noël est né d'une fusion un peu étrange. D'abord, il y a ce texte, sur lequel il tombe par hasard, dans lequel le philosophe Emerson explique que la mort de son jeune fils ne l'a pas rendu malheureux; que cet enfant s'est plutôt «détaché de lui comme la feuille d'un arbre». «J'ai cherché à comprendre comment on pouvait se détacher de sa douleur de cette façon», expliquait le cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse au Festival de Toronto.

Résultat: un film choral brillant, dans lequel chaque personnage module une partition aussi subtile que grandiose. En filigrane, un thème délicat, pour ne pas dire carrément tabou: le désamour, quasi congénital dans ce cas-ci.

Ardent cinéphile, Desplechin tenait à ce que son film, malgré le caractère tragique des événements qu'il dépeint, garde l'esprit d'un conte. Un peu comme si le Bergman de Saraband croisait l'univers déjanté de The Royal Tenenbaums (Wes Anderson).

«J'ai aussi organisé une projection du film de Howard Hawks Only Angels Have Wings, à laquelle étaient conviés tous les acteurs. Je tenais à leur montrer comment Hawks était parvenu à aborder des thèmes dramatiques tout en maniant un humour décalé formidable. Cela a donné le ton.»

Du désordre au carré

Tout se passe chez la famille Vuillard, au sein de laquelle un drame est survenu il y a maintenant 40 ans. L'aîné de la famille, atteint d'une maladie génétique très grave, aurait eu à l'époque besoin d'une greffe de moelle osseuse pour, peut-être, réchapper de la leucémie.

Or, ni ses parents (Jean-Paul Roussillon et Catherine Deneuve) ni sa petite sœur Elizabeth n'étaient compatibles. Aussi les géniteurs avaient-ils décidé alors de faire très vite un troisième enfant dans l'espoir que le nouveau-né puisse éventuellement se transformer en donneur. Ce «bébé médicament» n'étant pas compatible non plus, l'aîné est mort à l'âge de 7 ans.

Aussi Henri (Mathieu Amalric), celui qu'on a conçu dans l'espoir de guérir l'autre, portera-t-il sur lui le poids du deuil dont ne pourra jamais se défaire sa sœur (Anne Consigny). Cette dernière a d'ailleurs décidé de bannir complètement son frère de sa vie.

Le jour où Junon, la mère, est atteinte de la maladie qui a emporté jadis son fils aîné, la famille entière - incluant enfants, petits-enfants, conjoints - rapplique à la maison de Roubaix. Et c'est Noël...

«Je trouvais intéressant de faire intervenir un nouveau désordre dans une famille déjà désordonnée, commente Arnaud Desplechin. Cela rééquilibre les choses! Cela dit, je ne vois pas la famille comme une pathologie!» ajoute celui qui, avec des films comme La vie des morts et Rois et reine semble trouver au sein de la dynamique familiale matière à inspiration.

Malgré la gravité du propos, l'absence de pathos confère aussi au film une véritable liberté de ton. Les différents personnages peuvent ainsi exprimer leur nature profonde dans un contexte où le caractère outrancier de leurs gestes - et de leurs sentiments - n'a aucune résonance mélodramatique.

«Je me suis attardé à l'intensité des sentiments plutôt qu'à leur qualité, précise le cinéaste. Je n'ai pas voulu hiérarchiser les choses. Tout est à égalité.» Hippolyte Girardot, Chiara Mastroianni, Melvil Poupaud et Emmanuelle Devos font aussi partie de la distribution de ce très beau film qui, à Cannes, a valu à Catherine Deneuve un prix spécial.

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Un conte de Noël ouvre ce soir à 19 h 30 le Festival Cinémania au Cinéma Impérial. Arnaud Desplechin donne aussi une leçon de cinéma demain à 14 h 30. Le film prend l'affiche en salle le 21 novembre.