Avec Sous la cagoule, voyage au bout de la torture, le réalisateur Patricio Henriquez (Le dernier jour de Salvador Allende, Le côté obscur de la dame blanche) démontre comment la torture est devenue, depuis le 11 septembre 2001, une pratique institutionnalisée, sur laquelle les pays membres de l'OTAN ferment les yeux.

Le documentaire s'inscrit pleinement dans le parcours de Patricio Henriquez, lui-même enfermé, à l'âge de 25 ans, au lendemain du coup d'État de Pinochet.

Q Comment est née l'idée de ce documentaire?

R C'est la naissance de l'idée qu'il fallait secouer les prisonniers pour faire la guerre au terrorisme. Secouer, dans ces cas-là, c'est un euphémisme pour dire torture. Certains articles donnaient la parole à des agents secrets qui disaient exactement la même chose. Il y a eu tout de suite un débat qui a fait reculer cette question d'un demi-siècle. Avant 2001, il y avait un consensus international qui bannissait la torture des lois internationales et domestiques. Là, les Américains sont plus habiles que les dictateurs sud-américains. Plutôt que de nier la torture, ils ont devancé l'opinion publique en proposant de légiférer et d'encadrer la torture. C'était un peu irréel.

Q La torture serait donc une pratique institutionnalisée?

R Dans le cas d'Abou Ghraib, on a envoyé en prison 10 militaires des plus bas rangs possibles. Jamais un haut gradé n'a été inquiété. Donc ça continue encore aujourd'hui. Omar Khadr en est d'ailleurs la preuve. Abou Ghraib a quand même détruit le plan de rationalisation de la torture. Certains ont parlé de perte d'innocence. Mais l'histoire des États-Unis est quand même liée à ces pratiques.

Q La torture est aussi, dans votre documentaire, une pratique institutionnelle mais internationale.

R Tout à fait. Il y a eu des transferts de technologie, c'est évident. D'un autre côté, il faut quand même mettre les choses en perspective: si le pays le plus important de la terre légitime la torture, vous ne pourrez pas arrêter l'effet de domino qu'il y aura de partout dans le monde. De l'Afrique à la Tchétchénie, comment voulez-vous que le monde occidental dise quoi que ce soit? Le fait d'être le pays le plus puissant de la terre amène des responsabilités.

Q Comment voyez-vous l'élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis?

R Une administration gère ce qui est gérable. La police secrète, dans n'importe quel pays du monde, reste là alors que les administrations passent. Même avec la meilleure volonté du monde, je doute que le nouveau président puisse arrêter tout cela. Mais par ailleurs, je vous dirais que depuis un demi-siècle, il y a eu des gouvernements différents. Le seul à s'être distancé de la torture est celui de Jimmy Carter. Sinon, tous les autres, républicains ou démocrates, ont été attachés à ces pratiques. Ce n'est donc pas parce que les démocrates rentrent à la Maison-Blanche que ça va changer. Mais je l'espère quand même.

Q Qu'espérez-vous, au fond, avec ce documentaire?

R Les tortionnaires ne sont pas des malades, ils doivent, à un moment donné, effectuer la sale besogne. Pour tenir le coup, il faut qu'ils aient de fortes justifications morales. Ils se disent qu'ils font ça pour la liberté, la démocratie. Mais cela nous mène tout droit à un non-sens tragique et macabre. Pour défendre des valeurs éthiques, on torture? Il y a quelque chose qui ne marche pas (...) Si la communauté que les tortionnaires prétendent défendre s'y oppose, cela peut, je l'espère, avoir un effet.

Sous la cagoule, voyage au bout de la torture est présentement à l'affiche.