Le jour de ses cent ans, le plus vieux cinéaste au monde célèbrera son anniversaire derrière la caméra. Ce 12 décembre, Manoel de Oliveira fera ce pour quoi il vit: filmer, espérant achever d'ici quelques jours son 46e long métrage.

«Cesser de travailler, c'est mourir. Si on m'enlève le cinéma, je meurs», déclarait récemment le réalisateur portugais, impatient de démarrer le tournage de Singularidades de uma rapariga loura (Singularités d'une jeune fille blonde), adapté d'un conte du grand romancier réaliste Eça de Queiroz.

Depuis le 23 novembre, entre la petite rue da Anchieta, dans le vieux quartier lisboète du Chiado, et un magasin d'azulejos anciens, situé non loin, Manoel de Oliveira, chapeau vissé sur la tête, promène sa silhouette encore droite mais aussi «son énergie et son humour», selon le témoignage de l'actrice principale du film, Catarina Wallenstein.

«Il sait très bien ce qu'il veut mais, comme d'autres metteurs en scène, il a plein d'idées qui lui viennent sur le moment et il improvise beaucoup pendant le tournage», raconte à l'AFP la jeune comédienne portugaise de 22 ans.

Dans le film, Macario (joué par Ricardo Trêpa, petit-fils du cinéaste) confie à une inconnue rencontrée dans un train son amour éperdu pour une jeune fille blonde.

«Singularidades de uma rapariga loura part de l'idée que l'on raconte à un inconnu des choses que l'on ne raconte pas à un ami ou à une épouse», expliquait le week-end dernier Manoel de Oliveira lors d'une conférence de presse.

Vendredi, jour «officiel» de son anniversaire, car comme il l'explique lui-même «comme beaucoup d'enfants de cette époque», Manoel de Oliveira a été «enregistré le lendemain» de sa naissance, le cinéaste a prévu de tourner des plans de Lisbonne. L'homme est pressé. Non pas en raison d'une quelconque urgence de l'âge mais parce qu'il voudrait voir son film prêt pour le Festival de Berlin en février prochain.

Car, à cent ans, Manoel de Oliveira témoigne d'une vitalité intacte, voire décuplée au fil du temps. «Je ne me repose que quand je tourne», affirme-t-il.

Depuis sa première réalisation en 1931, un documentaire muet sur sa ville natale, Porto (Douro, travail fluvial), le cinéaste a réalisé 44 longs métrages, dont vingt depuis ses 80 ans.

«Je n'ai pas de secret. C'est le caprice de la nature qui décide et régit tout cela. Nous devons la respecter», déclare-t-il.

Pourtant, celui qui a commencé au «beau vieux temps du muet» comme il dit n'a pas oublié les conditions de ses débuts: «Je faisais tout tout seul: production, réalisation. J'étais derrière la caméra, je m'occupais du son et de l'image. Les acteurs, je les trouvais sur place. Je transportais tout le nécessaire dans une fourgonnette: projecteurs, câbles, 2 batteries de 24 volts pour l'éclairage».

«Il se peut qu'un jour je sois obligé de tourner à nouveau dans ces conditions si je n'obtiens pas de financements», ajoute le cinéaste qui a tourné avec les plus grands (Mastroianni, Deneuve, Piccoli, Malkovich...) mais redoute toujours de ne pas trouver les moyens pour filmer.

Car, avant même d'avoir achevé le tournage de Singularités d'une jeune fille blonde, dont le clap de fin est prévu le 19 décembre, Manoel de Oliveira pense déjà au film suivant, L'étrange cas d'Angélique, «un projet qui remonte aux années 50 mais rejeté à l'époque par le secrétariat à l'Information».

«J'aimerais le faire pour Cannes, en mai. Je ne devrais pas avoir le temps d'en faire un troisième pour Venise» en septembre, fait-il semblant de regretter, l'air amusé.

Filmographie de Manoel de Oliveira

> Fictions

1942 : Aniki-Bobo
1963 : O Acto da primavera/Le mystère du printemps
1963 : A Caça/La chasse
1971 : O Passado e o Presente/Le passé et le présent
1974 : Benilde ou a Virgem mae/Benilde ou la Vierge Marie
1978 : Amor de perdiçao/Amour de perdition
1981 : Francisca
1985: Le soulier de satin
1986 : O Meu Caso/Mon cas
1988 : Os Canibais/Les cannibales
1990 : Nao ou a Va Gloria de mandar/Non ou la vaine gloire de commander
1991 : A Divina Comedia/La divine comédie
1992 : O Dia de desespero/Le jour du désespoir
1993 : Vale Abraao/Le val d'Abraham
1994 : A Caixa/La cassette
1995 : O Convento/Le couvent
1997 : Party
1997 : Viagem ao principio do Mundo/Voyage au début du monde
1998 : Inquietude/Inquiétude
1999 : A carta/La Lettre
2000 : Palavra e Utopia/Parole et utopie
2000 : Je rentre à la maison
2001 : Porto da Minha Infancia/Porto de mon enfance
2001 : O Princípio da Incerteza/Le principe de l'incertitude
2002 : Um Filme Falado/Un film parlé
2004 : O Quinto Império - Ontem Como Hoje/Le cinquième empire
2005 : Espelho Mágico/Le miroir magique
2006 : Belle toujours
2007 : Cristovão Colombo, O Enigma/Christophe Colomb, l'énigme
2008 (en cours) : Singularidades de uma rapariga loira/Singularités d'une jeune fille blonde

> Documentaires

1931 : Douro, faina fluvial/Douro, travail fluvial
1932 : Estatuas de Lisboa/Statues de Lisbonne
1937 : Os Ultimos Temporais, Cheias do Tejo/Les dernières crues du Tage
1938 : Miramar, Praia das rosas/Miramar, plage des roses
1938 : Em Portugal ja se fazem automoveis/On fabrique déjà des voitures au Portugal
1940 : Famalicao
1956 : O Pintor e a Cidade/Le peintre et la ville
1958 : O Coraçao/Le coeur
1959 : O Pao/Le pain
1964 : Villa Verdinho, uma aldeia transmontana/Villa Verdinho, un village de Tras-os-Montes
1965 : As Pinturas do meu irmao Julio/Les peintures de mon frère Julio
1982 : A Visita-Memorias e confissoes/La Visite-Mémoires et confessions (autobiographique)
1983 : Lisboa Cultural/Lisbonne culturelle
1983 : Nice... à propos de Jean Vigo
1983 : Simposio Internacional de escultura em pedra/Symposium international de sculpture en pierre
1987 : A Proposito da bandeira nacional/À propos du drapeau national