Jeune soldat à l'époque de la première guerre du Liban, le cinéaste israélien Ari Folman a choisi la forme du film d'animation pour se livrer à une douloureuse introspection. Du coup, des souvenirs effacés de sa mémoire sont remontés à la surface. Le résultat est bouleversant.

Au Festival de Cannes, où il était présenté en compétition officielle, Valse avec Bachir faisait sans contredit partie des films que les observateurs voyaient en bonne position au palmarès officiel. Or, le jury, présidé par Sean Penn, n'a finalement pas retenu le documentaire d'animation d'Ari Folman parmi ses lauréats. Le cinéaste, rencontré quelques mois plus tard au Festival de Toronto, n'entretenait aucune rancune à cet égard.

«C'était déjà un immense honneur que d'avoir été sélectionné. Je dirais même que le fait d'avoir figuré dans les pronostics sans finalement rien obtenir nous a donné une visibilité accrue! Quand il est sorti en France, tout le monde a voulu aller voir «ce film que le jury avait injustement oublié». Mais à Cannes, il est certain que mes producteurs étaient déçus. Moi, je ne réalisais pas vraiment ce qui se passait. Dans le monde du cinéma, cet endroit a presque un caractère religieux.»

Prix cannois ou pas, il reste que Valse avec Bachir reste l'un des films les plus marquants de l'année. Pour son troisième long métrage *, Folman a décidé d'aborder sa propre quête existentielle sous la forme d'un film documentaire tourné en animation. «Ce choix de l'animation s'imposait parce qu'il me donnait une liberté totale sur le plan visuel. Il ne m'est d'ailleurs jamais venu à l'esprit de tourner ce film en images réelles. Cela aurait donné un documentaire classique, probablement pas très intéressant sur le plan formel. Comme Valse avec Bachir est construit à l'aide d'interviews que j'ai réalisées avec d'anciens compagnons, nous n'aurions alors vu que des hommes parler devant une caméra de choses qu'ils ont vécues il y a 25 ans. En utilisant l'animation, nous avons pu aller bien au-delà.»

Souvenirs oubliés

C'est au moment où Folman a atteint la quarantaine que l'idée du film a germé dans son esprit. Ou plutôt, que l'idée fut provoquée par un exercice que fait l'armée israélienne avec les vétérans quand ces derniers ne sont plus tenus d'être réservistes. «Pour fin de documentation, l'armée recueille les témoignages de ceux qui veulent partager leur expérience, explique l'ancien soldat. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je n'avais jamais parlé de ce que j'avais vécu à personne. Ma mémoire avait même complètement effacé cet épisode. J'ai donc eu l'idée du film en allant retracer des gens qui étaient présents dans ma vie à cette époque.»

L'époque, précisons-le, était bien particulière. Au début des années 80, à l'âge de 17 ans, Ari Folman, alors en service militaire, est envoyé au Liban. Il est en poste tout près des camps palestiniens de Sabra et Chatila quand, même si le secteur est sous contrôle israélien, les phalangistes chrétiens y commettent leur tristement célèbre massacre. Le Bachir du titre est Bachir Gemayel, leader libanais chrétien, dont l'assassinat a déclenché les massacres. Ironie du sort, le Liban vivait aussi des instants tragiques au moment où Folman était en pleine préparation d'un film qu'il aura mis quatre ans à réaliser.

Pas de débat politique

Dans le film, l'auteur cinéaste repart à la trace de sa mémoire le jour où un ami lui raconte les cauchemars récurrents auxquels il est en proie, lesquels remontent à l'époque de la première guerre du Liban. Un vague souvenir remonte alors. Et déclenche chez le cinéaste l'envie de découvrir la vérité en interpellant d'anciens compagnons d'armes, disséminés un peu partout dans le monde.

L'introspection est forcément douloureuse.

«À ma grande surprise, il n'y pas eu de débat de caractère politique en Israël quand le film est sorti, fait remarquer Folman. Je crois qu'avec ce qui s'est passé au Liban il y a deux ans, mes compatriotes n'avaient pas vraiment envie de soulever la question sur le plan politique. En revanche, le film a eu un impact très fort sur les individus.»

«Depuis que le film est sorti, poursuit-il, pas une journée ne passe sans qu'un inconnu m'aborde pour me raconter les horreurs qu'il a vécues à la guerre. Bien souvent, il me confie des choses qu'il n'a jamais dites à personne. Je trouve ça lourd. Dans la mesure où ça me ramène inévitablement à mes propres souvenirs. J'assume ce film parfaitement, cela dit. Je sais qu'il fera partie de moi pour toujours.»

Lors de la conférence de presse du Festival de Cannes, Folman avait d'ailleurs tenu à ce que le propos prenne le pas sur la forme du film, d'où l'insertion d'une scène finale saisissante, puisée à même des scènes d'archives.

«Je ne voulais surtout pas que le spectateur sorte de la projection en ayant l'impression d'avoir vu un film d'animation cool avec de la bonne musique, expliquait-il alors. Un vrai drame a eu lieu. Des femmes, des enfants ont été massacrés. Oui, il s'agit d'un film d'animation, mais la tragédie à laquelle on fait écho dans ce film n'est que trop réelle.»

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Clara Hakedosha (1996) et Made in Israel (2001) n'ont pas eu beaucoup d'écho sur la scène internationale.

Valse avec Bachir prend l'affiche en version originale en hébreu avec sous-titres français vendredi.