Depuis près de 25 ans, l'acteur Robert Redford fait rimer cinéma avec les Rocheuses de l'Utah. Du cinéma grand public au documentaire pointu, le festival Sundance s'est imposé au fil des années comme un rendez-vous incontournable, autant pour les gros noms d'Hollywood que les réalisateurs venus présenter un premier film indépendant, le tout dans une ambiance d'après-ski.

Depuis la révolution suscitée par le succès de Sex, Lies and Videotape, de Steven Soderbergh, ou la découverte de Quentin Tarantino (Reservoir Dogs), Todd Haynes (Poison) et autres Paul Thomas Anderson (Hard Eight), la seule mention de Sundance suffit à faire saliver producteurs, distributeurs et agents, en quête de bonnes affaires, et réalisateurs, en quête de reconnaissance.

«Sundance, c'est déjà un pied aux États-Unis», se réjouit Greg Hajdarowicz, producteur polonais, rencontré au quartier général du festival. Bottes de ski aux pieds, il ne cache pas l'enthousiasme que suscite, pour lui, la sélection de Carmo, Hit the Road, un film de Murilo Pasta. «Parmi plus de 1000 films, ils ont choisi le mien! Vous pouvez imaginer à quel point je suis fier», poursuit-il.

Fidèle du festival depuis 1995, la documentariste Marina Zenovich a vu, elle, sa réputation monter en flèche après la première ici de son film Roman Polanski, Wanted and Desired, l'an dernier. «Sundance est le festival le plus important aux États-Unis. Arriver jusque-là vous démarque comme réalisateur.» Après Sundance, le film a été invité à Cannes, avant de bénéficier d'une sortie sur grand écran aux États-Unis, au Canada et en France, entre autres.

Valeur sûre des festivals internationaux, Sundance s'est imposé au fil des ans comme l'un des rendez-vous incontournables de la planète cinéma, au même titre que Cannes, Toronto ou Berlin. «Nous sommes devenus un événement essentiel, incontournable», dit le programmateur David Courier.

Vu de la station de ski qui l'accueille, le Cannes américain n'a pourtant rien pour désarçonner le quidam. Au pied des pistes, le village historique et ses environs accueillent les festivaliers dans des chalets de bois rond. Pas de montée des marches ici: les projections ont lieu dans des centres de conférences et des hôtels et les festivaliers se déplacer gratuitement en bus d'un lieu à l'autre.

Festival décontracté

Les invités se laissent facilement aborder et c'est ainsi que l'on a pu, à l'ouverture du festival, voir Spike Lee parler politique au coin de la rue avec des journalistes. Un présentateur de la télévision locale, Park City TV, n'en revient toujours pas lui-même. «Combien de villes de 6000 habitants accueillent une manifestations comme celle-là? Je travaille pour une petite télé locale, et pendant 10 jours, chaque année, je peux recevoir Kevin Spacey et Spike Lee le même jour!»

La décontraction est donc de mise, surtout parmi les poids lourds du festival. Pour son habituelle conférence d'ouverture, organisée dans l'emblématique et rococo Egyptian Theatre, Robert Redford arborait un béret, une chemise marron et un jean intemporel: un style plus proche de celui du professeur d'université en goguette que de celui de la légende hollywoodienne.

Dans le propos aussi, Robert Redford affiche toujours les mêmes ambitions qu'au moment où il a pris les rênes de Sundance. «Le festival est indépendant et à but non lucratif. On n'a jamais eu pour but d'être commercial: on voulait être libre de choisir du commercial ou non, de faire dans la diversité», a rappelé le «Sundance Kid».

Depuis la fin des années 90, Sundance s'est souvent fait reprocher la présence grandissante de stars et starlettes américaines - le passage des soeurs Hilton à Park City avait semé la consternation parmi les fidèles du festival l'an dernier -, mais les organisateurs ne croient pas avoir dérogé à leur mission.

«En 25 ans, Sundance a changé la donne. Maintenant, on sait que des petits films peuvent être rentables», affirme Geoff Gilmore. Et ce ne sont pas les succès récents de Little Miss Sunshine, de Jonathan Dayton, de Hamlet 2 d'Andrew Fleming ou de Frozen River - un film qui aborde la contrebande sur la réserve d'Akwesasne, à cheval sur le Québec, l'Ontario et l'État de New York -, de Courtney Hunt qui lui donneront tort.

«Ce que nous essayons de faire, à Park City, c'est d'amener le public à constater que l'art et les affaires peuvent coexister», soutient Robert Redford.

Si la programmation du festival compte, parmi ses premières, quelques gros morceaux de l'année - Adventureland, de Greg Mottola, I Love You Phillip Morris de Glenn Ficarra ou Shrink, de Jonas Pate - l'organisation de Sundance propose aussi un volet plus artistique, New Frontier.

Logé au sous-sol d'un petit centre commercial du centre historique et touristique de Park City, New Frontier expose les installations d'artistes visuels portés sur le cinéma ou la nouvelle technologie. «New Frontier, c'est un nom qui montre que l'on se consacre au multimédia et au cinéma», précise David Courier.

L'art va survivre


Les très politiques et provocateurs courts métrages de l'artiste britannique Maria Marshall - une habituée du Centre Georges-Pompidou et du Palais de Tokyo, à Paris, et du Metropolitan Museum de New York -, font partie des installations présentées à New Frontier.

«Je ne sais pas quelle porte cela m'ouvrira, si ça m'en ouvre une, dit la réalisatrice. Je suis une artiste parce qu'il y a souvent des réalisateurs cachés derrières les artistes: ils ont quelque chose à dire. Et cela n'a rien à voir avec l'argent, ils veulent juste faire ce qu'ils ont à faire.»

Jeudi, à l'ouverture du festival, on murmurait, à Park City, que les affaires pourraient fort bien se montrer moins juteuses, les soirées, moins extravagantes, et le box-office, moins imposant en ces temps de disette économique. «Les affaires et la distribution seront peut-être affectés, mais l'art va toujours survivre», promet Robert Redford.

Depuis un quart de siècle, en tout cas, l'histoire lui a donné raison... à Sundance du moins.