Anne-Marie Cadieux me donne rendez-vous au Café Méliès du complexe Ex-Centris. L'actrice a tourné la semaine dernière le dernier épisode d'Annie et ses hommes (lundi, 20 h, à TVA) et répète en ce moment la pièce Douleur exquise de Sophie Calle, qui sera présentée ce printemps dans le cadre du Festival TransAmériques, dans une mise en scène de Brigitte Haentjens. Discussion sur le cinéma avec une cinéphile avertie... qui ne voulait surtout pas parler des Oscars.

Marc Cassivi: J'ai vu la semaine dernière Mickey Rourke en entrevue à Charlie Rose (à la télévision de PBS). Plus je le vois en entrevue...

Anne-Marie Cadieux: Et plus tu l'aimes ou moins tu l'aimes? (rires)

M.C.: Et plus je me dis qu'il jouait son propre rôle dans The Wrestler. Je ne connais pas bien son parcours. Je savais qu'il était tombé dans l'oubli, mais je ne réalisais pas à quel point il avait vécu dans les mêmes conditions que son personnage. Ça n'enlève rien à sa performance, mais je crois que j'aurais préféré ne pas le savoir.

A.-M.C.: C'est vrai ce que tu dis. Surtout comparé à Sean Penn, qui s'est tellement transformé pour Milk. Mais Mickey Rourke donne beaucoup d'épaisseur et de substance à son personnage. Ce sont deux genres d'interprétations complètement différents. Si le jeu de Rourke avait été factice, le film n'aurait pas été crédible. Il ne joue pas son propre rôle. Il joue un lutteur...

M.C.: Mais il a aussi été porté aux nues et a vécu une chute semblable. Plus personne ne voulait lui offrir quoi que ce soit. La lutte aussi c'est du spectacle. Dans les années 80, les lutteurs étaient d'aussi grosses vedettes que les acteurs de cinéma. Ils ont vieilli et ils ont été oubliés.

A.-M.C.: La métaphore est évidente. Mais il y a quand même une différence entre la vie d'un lutteur et celle d'un acteur à Hollywood. C'est intéressant la question que tu poses, à savoir si ça nuit à un personnage quand on sait trop de choses de sa vie. Moi ça ne me gêne pas. Je trouve que ça enrichit le personnage. J'ai beaucoup aimé The Wrestler. C'est un portrait d'un homme au-delà du lutteur.

M.C.: J'ai adoré le film. La réalisation est très fine.

A.-M.C.: J'aime beaucoup les univers hyperréalistes. Ça me parle énormément. Ça m'a toujours surprise que le théâtre, qui est plus réel, semble souvent plus artificiel que le cinéma, malgré l'écran. Il y a aussi le fait que les gagnants ne m'intéressent pas vraiment. La culture du gagnant fait sentir tout le monde poche. On vit dans une société de l'excellence alors que l'on est pris avec nos existences pleines de failles. Je suis peut-être plus sombre que lumineuse, mais le réel me semble se rapprocher davantage de ces films, The Wrestler, ceux des frères Dardenne, qui s'intéressent à comment survivre dans un monde hostile. Pour moi, c'est ça la vie.

M.C.: Tu choisirais Sean Penn ou Mickey Rourke pour l'Oscar du meilleur acteur?

A.-M.C.: C'est difficile. Ce sont deux interprétations complètement différentes. Rourke m'est peut-être plus resté en tête, mais Sean Penn s'est transformé sans que l'on ne voie la composition. C'est très raffiné. C'est un acteur immense. J'en ai parlé à d'autres acteurs et on se demande comment il a réussi ça.

M.C.: Il se glisse dans la peau du personnage sans effort.

A.-M.C.: Il a beaucoup d'humanité, beaucoup de douceur, lui qui peut sembler assez dur. Il incarne complètement son personnage. C'est probablement lui que je choisirais.

M.C.: Par déformation professionnelle, le jeu des acteurs est-il la première chose que tu remarques dans un film?

A.-M.C.: J'oublie tout au cinéma, quand c'est bon. Je deviens une simple spectatrice. Mais c'est sûr que je m'intéresse toujours au jeu. Le cinéma est le médium des réalisateurs et réalisatrices. Si c'est mal tourné, mal monté, l'acteur ne peut pas s'en sortir. Tandis qu'au théâtre, devant le public, c'est différent. Le cinéma, entre les mains d'un bon réalisateur, c'est miraculeux. Évidemment, il faut que les acteurs soient bons. Sean Penn est excellent. Ce que je retiens de Milk, c'est la manière dont Gus Van Sant filme sa mort. Milk et The Wrestler sont des films que je reverrais. Quand on voit beaucoup de cinéma, on veut voir autre chose que la recette. Je n'ai pas aimé The Reader...

M.C.: C'était trop conventionnel pour toi?

A.-M.C.: Trop conventionnel, et trop artificiel. Je n'y ai pas cru.

M.C.: J'ai plutôt aimé The Reader, mais ça m'a étonné que Kate Winslet ne soit pas en nomination pour Revolutionary Road. Elle était davantage dans la subtilité et la finesse. Elle va quand même gagner l'Oscar.

A.-M.C.: J'ai préféré Revolutionary Road. Le personnage féminin est plus riche. J'ai beaucoup aimé Anne Hathaway dans Rachel Getting Married. Je trouve que c'est tellement surprenant comme interprétation. C'est un film qui ressemble à la vie.

M.C.: J'ai aussi trouvé que c'était un film brillant. Je suis étonné qu'il ne soit pas dans la catégorie du meilleur film. J'aurais choisi The Wrestler aussi. Avant The Reader et avant Slumdog Millionaire, qui va sûrement gagner l'Oscar du meilleur film. C'est un film amusant, mais il ne mérite pas l'Oscar.

A.-M.C.: On n'a pas le droit de parler contre Slumdog Millionaire! (rires) Il a son créneau. Je trouve ça bien qu'un «sleeper hit», un film sans vedettes, qui se passe ailleurs, qui aurait pu passer sous le radar, se retrouve là. Je trouve qu'il a sa place.

M.C.: J'ai voyagé en Inde et je trouve que c'est un film qui offre une vision très carte postale du pays. Tout ce que l'on voit de l'Inde dans le film, je l'ai vu dans le très peu de temps que j'ai passé là-bas. J'ai trouvé ça très caricatural par moments, même si je me suis bien amusé.

A.-M.C.: J'ai préféré Milk. J'ai adoré Milk. Les gens semblent dire que ce n'est pas une grande année de cinéma. Je ne trouve pas. Ça me semble riche. Peut-être parce qu'on voit ici des films de partout.

M.C.: Il y a moins de bons candidats pour l'Oscar du meilleur film que l'an dernier.

A.-M.C.: C'est toujours un peu comme ça. Tu sais que les gens vont trouver bizarre que tu me parles des Oscars?

M.C.: Pourquoi?

A.-M.C.: Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. J'ai peur que ça ait l'air prétentieux. J'aurais préféré parler d'autre chose.

M.C.: Je te trouve particulièrement éloquente quand tu parles de cinéma. Sans doute que tu le serais aussi à propos d'autres sujets. Mais tu es une vraie cinéphile, et comme tu as vu la plupart des films en nomination, je trouvais que le sujet s'imposait.

A.-M.C.: C'est vrai que je suis passionnée de cinéma. C'est un vrai guet-apens ton affaire! (rires) Penses-tu que c'est Valse avec Bachir ou Entre les murs qui va gagner (l'Oscar du meilleur film étranger)?

M.C.: Valse avec Bachir, mais j'ai préféré Entre les murs. Valse avec Bachir est très intéressant, mais c'est un film plus cérébral. Entre les murs m'a renversé.

A.-M.C.: Entre les murs, c'est un vrai tour de force. Laurent Cantet m'a beaucoup impressionnée. J'ai envie, comme actrice, de participer à des projets comme ça, de faire ce type de cinéma. Avec ce qui se passe à Montréal-Nord, dans la foulée des accommodements raisonnables, il me semble que c'est un genre de cinéma qu'on doit faire. Je choisirais Entre les murs, même si Valse avec Bachir m'a donné envie d'en savoir plus sur ce conflit.

M.C.: Tu vois, c'est toi qui me ramènes sur la piste des Oscars!

A.-M.C.: Je suis obligée! Le reste ne t'intéresse pas! (rires)