Même si Le bonheur de Pierre joue sur les clichés français à l'égard du Québec- les grands espaces, le traîneau à chiens, la motoneige et la fameuse cabane au Canada - le réalisateur Robert Ménard «endosse à 100 %» l'orientation du film.

«C'est des clichés, oui, mais c'est ce qu'on a voulu faire. C'est un film fait pour s'amuser, pas pour prendre au premier degré», lance-t-il au sujet de cette comédie écrite par Guy Bonnier.

La veille de l'entrevue au Soleil, mercredi, le réalisateur, Rémy Girard et Louise Portal avaient savouré la joie de présenter le film en avant-première québécoise aux habitants de Saguenay et de Sainte-Rose-du-Nord. C'est à cet endroit que le film a été tourné. «On a même fermé l'école du village pour permettre aux élèves de venir voir le film. Quatorze étudiants au total...»

Le bonheur de Pierre (à l'affiche la semaine prochaine) relate les tribulations d'un veuf (Pierre Richard), professeur de physique, et de sa fille journaliste (Sylvie Testud) qui, après avoir hérité d'une auberge dans la bourgade de Sainte-Simone, doivent affronter l'inhospitalité des habitants du coin, le maire en tête (Rémy Girard).

 

«C'est la peur de l'étranger, la peur de la peur. Que voulez-vous, la bêtise humaine est partout...» laisse tomber Robert Ménard (Cruising Bar) qui retrouve Rémy Girard, 18 ans après Amoureux fou.

Le bonheur de Pierre, c'est aussi un film sur l'optimisme, ajoute-t-il, au sujet de la philosophie de vie du personnage de Pierre Martin. «C'est contagieux, le bonheur...»

Écrit pour Richard

Le bonheur de Pierre a été écrit spécialement et «financé sur le nom» du comique numéro un du cinéma français des années 70 et 80 (Le distrait, Le grand blond avec une chaussure noire, Le jouet, La chèvre). Retenu à Paris pour des raisons familiales, Richard a été dans l'impossibilité de venir faire la promotion du film en sol québécois.

Robert Ménard ne tarit pas d'éloges à l'égard du chevronné comédien vu récemment dans Faubourg 36. «C'est un monument. Il est comme un enfant de six ans qui s'émerveille de la neige qui tombe. Il a beau avoir 74 ans, on n'était pas capable de le suivre. C'est aussi un gars de gang. Il a besoin d'être entouré. Il dit que c'est comme ça qu'il se sent le plus vivant...»

Coproduit avec la France, avec un budget de 7,5 millions $, Le bonheur de Pierre devrait prendre l'affiche dans l'Hexagone à une date qui reste à déterminer. Ménard parle d'une sortie sur 200 ou 300 écrans. Avec des sous-titres, comme c'est souvent le cas pour les films québécois lancés en France, mais qui reprendront textuellement les expressions du terroir québécois entendues dans le film, comme mal avenant, fier-pet et gigon. Mais dommage pour le député français Pierre Lasbordes, personne n'a la «plotte à terre» à Sainte-Simone...

Retour au bercail

Malgré son imposante et éclectique filmographie, Rémy Girard n'avait jamais eu l'occasion de tourner dans son coin de pays, le Saguenay. Dans Le bonheur de Pierre, le populaire comédien originaire de Jonquière est promu maire du village fictif de Sainte-Simone (en réalité, Sainte-Rose-du-Nord), où les «étranges» ne sont pas les bienvenus, encore moins s'ils sont Français...

Michel Dolbec, ce personnage ratoureux et obsessif, est prêt à toutes les combines possibles et imaginables pour inciter deux nouveaux arrivants, Pierre Martin (Pierre Richard) et sa fille Catherine (Sylvie Testud), héritiers de la seule auberge du patelin, à retourner à Paris. Fort de son ascendant sur ses concitoyens, il mettra tout le village à contribution afin de leur faire la vie la plus dure possible. Tout cela, bien entendu, dans l'espoir de les voir décrisser...

«Ce n'est pas tant la xénophobie, son problème, que la cupidité et la frustration. C'est plus le problème d'un seul gars que d'un village», explique Girard en entrevue au Soleil. «Dans beaucoup de familles, on voit ça, des chicanes autour des héritages. Mon personnage ne peut pas l'accepter. C'est pas vrai qu'il va endurer un autre Français, il avait toffé la vieille pendant 30 ans...», lance-t-il dans un grand éclat de rire.

Rémy Girard a lu le scénario du Bonheur de Pierre en pleine crise des accommodements raisonnables. Le film rappelle, sous le signe de l'humour, jusqu'où peut aller le repli sur soi et la peur de l'autre, un aspect du récit que le comédien a trouvé fort intéressant.

Découverte de Sainte-Rose

Mais l'étranger ne vient pas toujours de loin. La veille de l'entrevue, à l'avant-première du film à Saguenay, Rémy Girard avait échangé avec un membre du conseil municipal d'un village du coin. «Il m'a dit : Vous savez, je suis le seul à être né au village. Ça laissait sous-entendre : les autres viennent régler nos affaires...»

Le tournage du Bonheur de Pierre, l'hiver dernier, à Sainte-Rose-du-Nord, a permis à Rémy Girard de découvrir pour la première fois ce bucolique village, avec sa vue imprenable sur le fjord du Saguenay. Si l'été donne lieu à une recrudescence du tourisme, avec les croisières sur le Saguenay, il en va autrement l'hiver alors que l'endroit est pratiquement désert. «Le nouveau maire semble avoir l'intention de développer le tourisme d'hiver, avance Girard. En même temps, je comprends les gens d'être un peu jaloux de leur intimité et de vouloir se retrouver ensemble.»

À 58 ans, avec une quarantaine de films au compteur, Rémy Girard ne donne aucun signe d'essoufflement. Fort de cet amour inassouvi du métier, il amorcera dans deux semaines le tournage de l'adaptation de la pièce Incendies, de Wajdi Mouawad, sous la direction de Denis Villeneuve (Polytechnique). Mais plutôt que de revenir dans son Saguenay natal, c'est en Jordanie que le comédien déposera ses valises. Ce sera à son tour de devenir «l'étrange»...