«We are not Slumdogs» (Nous ne sommes pas des chiens de bidonvilles), pouvait-on lire lundi sur une grande affiche à l'entrée du plus grand bidonville indien, Dharavi, où a été tourné Slumdog Millionnaire, couronné la veille de huit Oscars à Hollywood.

Dans cette étendue de maisons précaires de briques, de cabanes de bambou aux toits de tôle ondulée, d'ateliers bruyants et poussiéreux et d'étals de nourriture ruisselante de graisse, on est loin du glamour et des paillettes d'Hollywood.

Le film, qui a remporté notamment les Oscars du meilleur film et meilleur réalisateur, narre l'histoire d'un jeune orphelin ayant grandi dans un bidonville de Bombay, qui gagne à l'émission Qui veut gagner des millions?.

«Ce genre de choses arrive seulement aux héros de films, pas dans nos vies», déclare Avinash Sawant, un étudiant dont la principale ambition dans la vie est de s'échapper du bidonville où il est né. «Personne ne vient ici et ne se soucie de nous».

Le bidonville de 214 hectares, campant dans son état actuel depuis 60 ans, est depuis longtemps un embarras pour ceux qui veulent faire de la capitale économique du géant asiatique, Bombay, un centre financier mondial.

Mère de 6 enfants, Manjula, 46 ans, n'a pas vu le film qui projette sur les écrans du monde entier des images du bidonville où elle vit depuis vingt ans.

«Cela ne changera rien à nos vies. Ceux qui l'ont fait vont faire de l'argent. Mais nous?», dit-elle en tirant de l'eau d'une pompe collective.

Le titre a offensé certains habitants, alors que le film est inspiré d'un roman de l'écrivain et diplomate indien Vikas Swarup intitulé Q&A (Questions et réponses).

«J'ai vu le film et je l'ai aimé, mais je me suis sentie mal à cause de son titre», explique Varsha Jitendra Bhosle, 23 ans, qui a passé toute sa vie à Dharavi. «Ils ont tourné à Dharavi, c'est un film sur Dharavi. Mais le titre, «Chiens de bidonville»... ils nous traitent de chiens et cela m'a fait mal», explique-t-elle.

Accueilli par des critiques enthousiastes lors de sa sortie en Inde, le film s'est vu reprocher par certains de renforcer les stéréotypes des Occidentaux sur le pays.

Un des enfants du bidonville qui apparaît dans le film, Azharuddin Mohammed Ismail, est allé à Los Angeles assister à la fastueuse cérémonie des Oscars.

Près de sa maison, un appentis de toile de bâche et de couvertures, avec des égouts à ciel ouvert à l'arrière, ses voisins ont suivi la retransmission sur un poste de télévision, en acclamant chacun des Oscars remportés par le film.

Le film a aussi ravi les trophées du scénario adapté, de la photographie, du montage et du mixage sonore, puis valu au compositeur indien A.R. Rahman deux statuettes, pour la musique et la chanson originales.

Suraj Arjun, un adolescent de 13 ans qui rêve de devenir un champion de cricket, assure avoir aimé le film qu'il a vu en version piratée.

«Je l'ai aimé parce que c'est l'histoire d'un gosse pauvre dans un bidonville qui gagne des millions à la télévision», explique-t-il.

Prashant Dighe, un autre habitant, est ravi du succès du film: «Je l'ai aimé. J'avais l'impression de voir ma propre vie sur grand écran».

Selon lui, le succès planétaire du film aura peu d'impact sur le bidonville. «Je ne vois rien changer à Dharavi. Ça restera pareil de mon vivant», a-t-il dit.