Après une éclipse de quatre ans pour les fidèles de la série télévisée, Grande Ourse aura enfin l'occasion de briller au grand écran grâce au long métrage La clé des possibles, écrit par Frédéric Ouellet et réalisé par Patrice Sauvé. Rencontre avec ceux qui ont toujours cru que ce projet était né sous une bonne étoile.

Il y a quatre ans, le rideau tombait sur la deuxième saison de Grande Ourse alors que Louis-Bernard Lapointe (Marc Messier) héritait de pouvoirs surnaturels. «Le projet de long métrage est né naturellement, pendant le tournage des derniers épisodes de la série», se souvient le scénariste Frédéric Ouellet. C'était un pas qui semblait aller de soi: «Même à la télévision, Patrice (Sauvé) tourne de façon cinématographique. De plus, le genre fantastique se prête au cinéma au moins aussi bien qu'à la télé», ajoute Normand Daneau, qui reprend ici son rôle de Biron.

Bref, le chemin semblait tout tracé entre le petit et le grand écran. Il a été parsemé d'embûches - ou plutôt de défis - que tous se sont attelés à relever. Nous arrive ainsi - enfin! - Grande Ourse: la clé des possibles. «Dans notre petite histoire à nous, nous imaginons qu'il s'est écoulé trois ans entre la fin de L'héritière de Grande Ourse et le début du film. Miron (Normand Daneau) et Gastonne (Fanny Mallette) ont ouvert une agence de détectives privés et ils m'utilisent comme... consultant», raconte Marc messier qui dit «aimer ce monsieur», c'est-à-dire Lapointe, «car il est toujours dans une espèce de quête existentielle, torturé, poigné avec ses visions».

Visions et autres pouvoirs qu'il considère comme une malédiction et non comme un don. Et il n'a pas tort: Miron, son fils spirituel, est enlevé et s'il veut le sauver, il doit retrouver la Clé des possibles, un objet mythique donnant accès aux univers parallèles qui naissent à chaque fois que l'on prend une décision. Pour faire simple (il le faut!), disons que si, dans la vie réelle, Gastonne décide de tourner à droite à un croisement, il existe un monde où elle a tourné à gauche. Et ainsi de suite, pour chaque personne et chaque décision. Une perspective qui donne le tournis. Et des possibilités scénaristiques vertigineuses. Si les moyens - comprendre la technique donc l'argent - suivent.

Pour Frédéric Ouellet et Patrice Sauvé, qui ont discuté, échangé et se sont relancés à chaque étape d'écriture, le travail, une fois l'idée trouvée, a été... de simplifier. D'élaguer. D'amputer pistes et personnages. Afin de ne pas perdre les nouveaux venus dans l'univers de Grande Ourse, mais sans faire trop simple pour que ne pas décevoir les fans qui aimaient la complexité de la série.

Il a donc été décidé qu'un seul monde parallèle serait visité et que l'on ne suivrait que trois des personnages nés à la télévision (Lapointe, Miron et Gastonne), dont la route croiserait celle d'un couple mystérieux, les Foucault (Gabrielle Lazure et Frédéric Gilles); d'une libraire qui possède involontairement quelques... clés du mystère (Maude Guérin); et de «sorcières» inquiétantes (Marie Tifo, Monique Mercure).

Une fois la mécanique trouvée, Frédéric Ouellet y a greffé l'émotion. «J'ai travaillé une structure classique de conte, avec l'appel de la quête, le refus de la quête, l'acceptation de la quête... et je suis arrivé avec, aussi, trois histoires d'amour.» Des histoires à différents stades. Et de couleurs différentes. Qui se déploient sur deux univers.

À partir de là, pour Patrice Sauvé, qui aime «le spectacle et ce genre de film-là», le grand défi a été «que chaque prise, chaque cadre, dise quelque chose par rapport au souffle narratif; que chaque plan, chaque lieu serve narrativement». Il y avait, chez lui, «un désir de maîtrise formel», très conscient, voulu. «Je me suis placé la barre très haut et c'est pour cela que, même si toute l'équipe voulait beaucoup et si nous sommes tous devenus des compagnons d'armes, l'expérience a été pénible personnellement», constate-t-il.

Pas assez de jours de tournage. Pas assez d'argent malgré un budget de 5,7 millions. La nécessité, donc, de faire des miracles au quotidien. Et un devoir: être constamment aux aguets pour ne pas perdre le cap. Tout cela, autant pour la forme - «Il me fallait de l'envergure pour que certaines scènes disent pleinement ce qu'elles avaient à dire» - que pour le fond: «Nous aurions pu nous perdre dans les scènes d'action. Des effets spéciaux, oui, bien sûr... mais au service de l'histoire et de la logique émotive de l'histoire.»

Car il y en a une, histoire. Et une logique. De même qu'un propos. C'est ce qui distingue «le bon fantastique», comme dit Normand Daneau, de l'esbroufe visuelle. «Pour moi, l'intérêt du fantastique est dans la métaphore, fait le comédien. L'allégorie de la caverne de Platon, les paraboles de Jésus, c'est du fantastique. Et c'est parce qu'elles pointent de grandes vérités sans les nommer qu'elles traversent le temps.» Immuables et inspirantes... comme une certaine constellation.

Grande Ourse: la clé des possibles prend l'affiche le 27 mars

Les étoiles de Grande Ourse

FRÉDÉRIC OUELLET

Scénariste

«Pour que ce soit clair à la lecture, j'ai écrit le scénario en noir pour le monde réel, en bleu pour le monde parallèle», fait Frédéric Ouellet, conscient que ce qui peut être évident à l'écran sous la caméra de Patrice Sauvé, le monde réel ressemble au nôtre, mais en plus sombre; alors que le monde parallèle pète de mille couleurs peut être difficile à suivre sur papier. Mais avant cette étape cosmétique, il y a eu celles, nombreuses, de la réécriture et de l'adaptation aux réalités «budgétaires» d'ici. Résultat: «Un texte où il n'y a pas de place à l'improvisation: tu ne peux oublier une réplique ou même changer un mot sans risquer des répercussions quelques scènes plus loin.»

PATRICE SAUVÉ

Réalisateur

La clé des possibles est le deuxième long métrage de Patrice Sauvé. Après Cheech, tièdement reçu par la critique mais qu'il est à des années-lumière de renier: «Il y a des choses que je ferais différemment mais je reste très fier de ce film-là. Je pensais vraiment que c'était une proposition valable, je le pense toujours et c'est pour ça qu'au bout du compte, tout ça n'a pas altéré ma confiance de réalisateur», affirme celui qui, pour ce Grande Ourse-là, dit avoir été «jusqu'au bout, sans demi-mesure» et avoir visé «quelque chose de visuellement et narrativement fort». «La sortie de Cheech a été une épreuve, conclut-il, je souhaite que celle-ci ne le soit pas.»

MARC MESSIER

Louis-Bernard Lapointe

Marc Messier éprouve de l'affection pour Lapointe, «ce monsieur qui se bonifie avec le temps. On y croit, quand il dit à Gastonne: «Je vais te le retrouver, ton Biron!»» Mais l'aspect qu'il préfère de Grande Ourse, comme acteur, c'est la possibilité de jouer de manière «physique»: «Si j'avais été un acteur américain, j'aurais aimé jouer dans des westerns ou des films épiques.» Bref, les heures passées dans l'eau froide, il les a trouvées dures. «Mais elles comptent parmi mes meilleurs souvenirs du tournage», assure celui qui trouve aussi intéressant d'incarner un homme qui a des pouvoirs extraordinaires et réalise combien il serait plus simple d'être «ordinaire». Message?

NORMAND DANEAU

Émile Biron

Quand il a vu La clé des possibles, Normand Daneau a été frappé par l'impact émotif du film, plus grand que celui de la série: «Ici, la ligne dramatique est unique et, à la limite, elle prime sur la ligne fantastique», assure celui qui voit son personnage comme «le lien entre le spectateur le plus sceptique et la facette magique» d'un récit qui se déplace entre deux univers, le «vrai» et un «parallèle», où vivent deux Biron, l'un plus «coloré» que l'autre, mais somme toute assez semblables: «Si les deux mondes et les personnages avaient été très différents les uns des autres, nous serions tombés dans l'aléatoire, dans le «tout est possible». Et nous aurions perdu en plausibilité.»

FANNY MALLETTE

Gastonne Belliveau

Maintenant mariée à Biron, «Gastonne est une femme épanouie... à son échelle à elle: elle partait de loin!» pouffe Fanny Mallette qui a eu un plaisir fou à retrouver le personnage, entre autres dans les scènes d'action: «Il est clair que je n'ai pas le profil 24 heures chrono! Mais parce que nous ne nous prenons pas au sérieux, courir dans les rues du Vieux-Montréal avec un pistolet, derrière Monique Mercure portant une perruque blanche, ça passe. Et c'était un bonheur!» assure celle qui a abordé son travail «segment de scène par segment de scène, sans trop me poser de questions: je savais que Patrice, lui, savait où il allait et que bien des choses pouvaient changer au montage».

MAUDE GUÉRIN

Évelyne O'Neal

Après avoir suivi Grande Ourse, Maude Guérin s'est mise à rêver d'être de ce type d'aventure. Quand on lui a proposé le rôle d'Évelyne O'Neal, lui disant simplement que le personnage était la nouvelle passion amoureuse de Marc Messier, la comédienne a dit oui: «C'est un tel bonheur de se faire choisir, de ne pas avoir à passer d'audition! Et puis, j'ai reçu le scénario, je l'ai lu d'une traite.» Elle a aimé le personnage, elle a aimé le texte. Et elle a aimé l'équipe, à laquelle elle s'est immédiatement intégrée: «Marc, Normand et Fanny avaient les deux séries dans le corps, pas moi. Il fallait que je sois sûre de jouer dans le même film qu'eux.» Ils y ont tous veillé.

GABRIELLE LAZURE

Christine Foucault

Installée en France depuis 30 ans, Gabrielle Lazure ne connaissait pas Grande Ourse quand son agent québécois l'a contactée au sujet d'un rôle dans le film. Patrice Sauvé cherchait alors des acteurs pour incarner le couple Foucault, «des gens qui sont porteurs d'un savoir mystérieux et véhiculent une charge émotive semblant dater d'une autre époque». L'actrice, intriguée, s'est prêtée au jeu de l'audition en n'ayant en main que deux scènes du scénario: «C'était bien écrit, il y avait là un mystère qui a piqué ma curiosité.» Assez pour passer par-dessus le fait que, dans ce «hors-contexte» total, les scènes en question étaient... disons, très hermétiques.