MEILLEUR FILM

Borderline

En portant à l'écran un scénario tiré de deux oeuvres d'autofiction de Marie-Sissi Labrèche, l'auteure cinéaste Lyne Charlebois propose le portrait d'une femme qui, à l'aube de la trentaine, est amenée à remettre en question son comportement autodestructeur. Gratifié d'un très beau succès public, marqué aussi par d'excellentes performances d'actrices, Borderline est sélectionné six fois. Bien que cité dans les catégories du meilleur film et de la meilleure réalisation, ce drame psychologique n'a toutefois pas été retenu dans la catégorie du meilleur scénario.

Ce qu'il faut pour vivre

Cette première incursion dans la fiction de la part de Benoît Pilon, un cinéaste jusque-là avantageusement reconnu dans le monde du documentaire, est pour le moins concluante. Retenu parmi les neuf derniers finalistes pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, Ce qu'il faut pour vivre a notamment obtenu le Grand prix du jury au Festival des films du monde de Montréal l'an dernier. Cinq fois cité dans cette course aux Jutra, le film de Benoît Pilon, dont le scénario a été écrit par Bernard Émond (auquel Pilon a ajouté sa participation), est le seul des candidats en lice à avoir été retenu dans les trois catégories phares: film, réalisation et scénario. De par ce fait même, l'on se doit de lui accorder un net avantage.

C'est pas moi, je le jure!

Fort d'une belle carrière internationale, dont deux lauriers récemment obtenus au Festival de Berlin dans la section «Génération», le plus récent film de Philippe Falardeau se lance dans la course avec sept nominations. Le fait que l'auteur cinéaste, grand gagnant des Jutra il y a deux ans avec Congorama, n'ait pas été sélectionné dans la catégorie de la meilleure réalisation diminue pourtant les chances du film dans celle du meilleur film.

Maman est chez le coiffeur

Les souvenirs d'enfance de la famille Hébert ont bien inspiré nos cinéastes. Tout comme C'est pas moi, je le jure!, tiré de deux romans de Bruno Hébert, Maman est chez le coiffeur, dont le scénario a été écrit par Isabelle Hébert, a aussi recueilli sept nominations. Il serait toutefois surprenant que le film de Léa Pool soit sacré meilleur film de l'année demain soir, étant donné qu'il ne figure pas dans les catégories de la réalisation et du scénario. Dans l'histoire des Jutra, ce cas de figure ne s'est jamais produit.

Prédiction:

Les membres votants respecteront la logique et éliront Ce qu'il faut pour vivre meilleur film québécois de l'année.

MEILLEURE ACTRICE

ISABELLE BLAIS Borderline

Dans le film de Lyne Charlebois, Isabelle Blais se glisse dans la peau d'une jeune exaltée sur qui plane le spectre d'un déséquilibre mental héréditaire. L'actrice, déjà lauréate du Jutra dans un rôle de soutien en 2003 grâce à sa performance dans Québec - Montréal, propose ici une composition saisissante. Se jetant à corps perdu dans son rôle, Isabelle Blais trouve toujours la note juste, malgré le caractère excessif du personnage. Sa présence est si marquante qu'elle est de loin la grande favorite dans cette catégorie.

SUZANNE CLÉMENT C'est pas moi, je le jure!

Lors de l'annonce des nominations, Suzanne Clément fut elle-même étonnée d'avoir été sélectionnée dans cette catégorie, estimant que son rôle dans C'est pas moi, je le jure! relève plutôt de ceux qu'on associe habituellement à la catégorie de soutien. Ce choix des producteurs mis à part, il reste que la célèbre interprète de Sophie Paquin colore avec son talent habituel son personnage de mère atypique, prise dans les grands bouleversements sociaux des années 60. N'étant pas classée dans la catégorie appropriée, une victoire semble ici plus improbable.

SUSAN SARANDON Emotional Arithmetic

L'une des candidatures les plus discutées cette année. À vrai dire, la vraie controverse ne réside pas tant dans le fait qu'une actrice étrangère soit en lice (tous les acteurs jouant dans un film québécois sont admissibles), mais plutôt le fait que Susan Sarandon, lauréate d'un Oscar grâce à Dead Man Walking, ait été sélectionnée pour un rôle plutôt ordinaire, dans un film franchement pas terrible (signé Paolo Barzman), que peu de gens ont vu.

GUYLAINE TREMBLAY Le grand départ

Autant le sacre de Guylaine Tremblay ne faisait aucun doute l'an dernier (elle a obtenu le Jutra grâce à sa performance dans Contre toute espérance), autant sa présence se révèle cette fois plus marginale. La comédie dramatique de Claude Meunier n'ayant pas véritablement marqué les esprits, on ne s'attend pas à ce que son interprète féminine principale obtienne le Jutra pour une deuxième année consécutive.

Prédiction:

À moins que les membres votants aient décidé de faire preuve de beaucoup d'humour, le Jutra de la meilleure actrice ira à Isabelle Blais.

MEILLEUR ACTEUR

MICHEL CÔTÉ Cruising Bar 2

Lauréat du Jutra du meilleur acteur dans un rôle de soutien en 2006, l'année où C.R.A.Z.Y. avait tout raflé, Michel Côté se retrouve cette année en lice grâce à sa quadruple performance dans Cruising Bar 2. Le plus grand succès populaire québécois de 2008, dont l'acteur signe la coréalisation avec Robert Ménard, n'a toutefois pas obtenu l'assentiment critique, au contraire. Cela dit, l'immense cote de sympathie dont bénéficie Michel Côté en fait néanmoins un candidat dont on ne peut négliger l'impact.

ALEXIS MARTIN Le banquet

En campant le prof d'université du Banquet, Alexis Martin pourrait obtenir, 10 ans après été sacré meilleur acteur pour Un 32 août sur Terre, le deuxième Jutra de sa carrière. Le film se Sébastien Rose n'a toutefois pas obtenu un très fort écho lors de sa sortie. Avec seulement trois nominations, dont deux dans des catégories plus techniques, le film de Sébastien Rose ne semble pas non plus bénéficier d'un soutien très solide de la part de la profession.

VINCENT GUILLAUME-OTIS Babine

Non seulement le jeune acteur prête-t-il ses traits au personnage principal du film de Luc Picard, mais il est aussi la vedette de la production ayant obtenu le plus de nominations au total. Si la performance de Vincent Guillaume-Otis dans le rôle de Babine a fait l'unanimité, il faudra maintenant voir si cet élan affectif est assez fort pour permettre à l'acteur, qui fait ici ses débuts à l'écran, d'enlever le trophée. La compétition est serrée.

NATAR UNGALAAQ Ce qu'il faut pour vivre

Révélé il y a quelques années grâce à Atanarjuat, l'acteur inuit Natar Ungalaaq incarne avec sobriété l'histoire de déracinement autour de laquelle le récit de Ce qu'il faut pour vivre est construit. En se glissant dans la peau de Tivii, un Inuit qui, dans les années 50, a dû soigner sa tuberculose à Québec, l'acteur propose une composition magnifique, évoquant d'un simple geste ou d'un regard tout son héritage culturel. Et la douleur de l'exil. Ungalaaq a aussi l'avantage d'être la tête d'affiche d'un film qui risque d'obtenir les honneurs les plus prestigieux de la soirée.

Prédiction:

On voit mal comment le Jutra pourrait échapper à Natar Ungalaaq.

MEILLEURE ACTRICE DE SOUTIEN

CÉLINE BONNIER Maman est chez le coiffeur

Dans le film de Léa Pool, Céline Bonnier incarne le rôle difficile d'une mère de famille qui, dans les années 60, quitte le foyer familial pour réorganiser sa vie. Comme toujours, l'actrice y est d'une très belle justesse. La compétition étant assez ouverte dans cette catégorie, il n'est pas interdit de penser que Céline Bonnier pourrait obtenir l'appui des votants, deux ans après avoir été consacrée meilleure actrice grâce à sa performance dans Délivrez-moi de Denis Chouinard.

ANGÈLE COUTU Borderline

Plusieurs facteurs laissent penser qu'Angèle Coutu pourrait bien obtenir demain le premier Jutra de sa carrière. D'abord, Borderline est marqué par trois performances d'actrices remarquables (curieusement, Sylvie Drapeau n'est pas nommée). Ensuite, l'actrice trouve ici un rôle de composition inattendu et bouleversant en se glissant dans la peau d'une grand-mère démunie faisant ce qu'elle peut pour recoller les morceaux des vies brisées qui l'entourent. Enfin, Borderline est un film visiblement apprécié par les membres de la profession. Elle part favorite dans cette catégorie.

DANIELLE PROULX Le déserteur

Un autre rôle de mère pourrait valoir à Danielle Proulx un deuxième Jutra. La femme qu'elle incarne dans Le déserteur a toutefois peu en commun avec celle qu'elle interprétait dans C.R.A.Z.Y. Dans le film de Simon Lavoie, l'actrice campe en effet la mère d'un jeune homme qui, à l'époque de la conscription, meurt sous le feu des policiers de la GRC pour avoir déserté l'armée canadienne. Bien que la composition de l'actrice soit impeccable, le rôle n'est peut-être pas assez fort pour susciter l'enthousiasme des votants.

MAXIM ROY Adam's Wall

Une performance marquée sous le sceau de la sobriété. Dans Adam's Wall, un film racontant les amours interdites entre une jeune libanaise et un jeune juif orthodoxe à Montréal, Maxim Roy prête ses traits à la nouvelle femme du père de la jeune amoureuse.

Prédiction:

Angèle Coutu peut préparer son discours. Elle a les meilleures chances de l'emporter.

MEILLEUR ACTEUR DE SOUTIEN

GABRIEL ARCAND Maman est chez le coiffeur

Dans la chronique d'enfance de Léa Pool, le toujours fascinant Gabriel Arcand incarne, avec son talent habituel, le personnage de «Monsieur Mouche», un homme muet avec qui la jeune héroïne tissera des liens. L'acteur a déjà été récompensé deux fois aux Jutra: Post Mortem lui a valu le Jutra du meilleur acteur en 2000, et Congorama celui du meilleur acteur dans un rôle de soutien en 2007. Les votants le consacreront-ils une troisième fois cette année?

DANIEL BRIÈRE C'est pas moi, je le jure!

Le jeu très nuancé de l'acteur est parfaitement en phase avec le ton qu'a emprunté Philippe Falardeau pour raconter les bouleversements familiaux provoqués par le départ d'une mère dans le Québec des années 60. Le papa des Parent rend ici très bien la colère contenue d'un homme visiblement dépassé par les événements. C'est pas moi, je le jure! ayant été bien apprécié, la candidature de Daniel Brière est solide.

NORMAND D'AMOUR Tout est parfait

Dans Tout est parfait, il y a d'un côté le monde des ados; de l'autre, celui des adultes. Le personnage qu'interprète Normand D'Amour fait partie de ceux qui, de leur côté, sont dans une situation de totale impuissance, de totale incompréhension. Et de colère. Dans la peau d'un père dont la vie est brisée par le suicide d'un fils, l'acteur propose une composition déchirante. Il est d'emblée l'un des favoris dans cette catégorie.

LUC PICARD Babine

Les votants voudront peut-être profiter de l'occasion pour souligner le travail de l'acteur, mais aussi la réalisation d'un conte fantastique qui, malgré ses neuf nominations, n'est pas en lice pour le Jutra du meilleur film, ni celui de la meilleure réalisation. À travers l'acteur cinéaste, c'est aussi l'excellence de toute une distribution qui est à la fête. Comme Gabriel Arcand, Luc Picard a déjà été consacré deux fois aux Jutra: 15 février 1839 lui a valu le Jutra du meilleur acteur en 2002, et Le collectionneur, celui du meilleur acteur dans un second rôle l'année suivante.

Prédiction:

Les quatre candidatures sont méritoires. Normand D'Amour part toutefois dans cette course avec un léger avantage.

MEILLEURE RÉALISATION

LYNE CHARLEBOIS Borderline

Pour son premier long métrage, Lyne Charlebois offre une oeuvre vibrante et très incarnée. Les performances des actrices ont été plus unanimement célébrées que la réalisation, cela dit. Si Borderline s'inscrit au tableau d'honneur demain, ce sera plutôt du côté des catégories d'interprétation.

YVES-CHRISTIAN FOURNIER Tout est parfait

Dans toute l'histoire des Jutra, jamais le prix du meilleur film n'a été dissocié de celui de la meilleure réalisation. Si jamais le cycle devait se briser cette année, Yves-Christian Fournier a les meilleures chances d'être celui qui entrera dans l'histoire. L'absence de Tout est parfait dans la catégorie suprême a en effet été très remarquée, même dénoncée par certains. Aussi les votants voudront peut-être réparer «l'injustice» en consacrant un jeune cinéaste qui, avec ce premier long métrage, a déjà fait sa marque d'éclatante façon.

ROBERT MORIN Papa à la chasse aux lagopèdes

Les deux nominations qu'a obtenu Papa à la chasse aux lagopèdes sont dévolues personnellement à Robert Morin, aussi sélectionné dans la catégorie de la meilleure photographie. C'est dire l'estime dont jouit dans la profession celui qui vient tout juste d'obtenir le Prix du gouverneur général. Il serait toutefois étonnant que le cinéaste reparte victorieux demain, étant donné que son film est pratiquement absent de toutes les autres catégories.

BENOÎT PILON Ce qu'il faut pour vivre

Le scénario qu'emprunte habituellement les Jutra depuis leur création laisse croire que Benoît Pilon part dans cette course avec plusieurs avantages. Premièrement, Ce qu'il faut pour vivre est déjà l'un des films québécois les plus célébrés en 2008 (il a notamment été choisi meilleur film québécois de l'année par l'Association québécoise des critiques de cinéma). Ensuite, Pilon est le réalisateur du seul film en lice dans les trois catégories de pointe. Enfin, les catégories «meilleur film» et «meilleure réalisation» vont toujours de pair. Seule Lyne Charlebois est aussi en lice dans ces deux catégories.

Prédiction:

À moins que la logique ne soit pas respectée, Benoît Pilon obtiendra demain le Jutra de la meilleure réalisation.