Depuis un quart de siècle déjà, Gérard Le Chêne, aidé par sa compagne Géraldine, tâche de faire valoir et aimer les mérites du cinéma africain et, plus généralement, des cultures francophones hors de l'Occident. À l'occasion du 25e anniversaire du festival Vues d'Afrique, nous avons rencontré l'homme derrière cette célébration annuelle.

Breton d'origine et venu au Nouveau Monde il y a 40 ans, le jovial Gérard, ex-professeur de psychologie des communications, se souvient de ses débuts à Vues d'Afrique en 1985: «C'était un temps nébuleux où l'Afrique n'existait pas hors des nouvelles télévisées. Il n'y avait dans les médias aucune information sur la culture africaine, on ne parlait que de politique, de misère et de famine. Le cinéma africain n'existait pas ici. On a décidé, avec des gens de l'image, des journalistes, des gens qui avaient des amis africains, de faire une semaine de cinéma africain, en 1985, à la Cinémathèque québécoise. Ç'a marché très bien!»

Quand on lui propose du cinéma étranger, hors des normes établies par la machine hollywoodienne, l'ordinaire cinéphile n'est pas toujours avenant, craignant peut-être se faire donner la leçon à coups de documentaires déprimants. Optimiste, Le Chêne, lui-même cinéaste documentariste, croit au contraire que le public est beaucoup plus souple et ouvert: «J'ai cette conviction que, d'une manière ou d'une autre, par le documentaire ou la fiction, le cinéma parle toujours de la réalité. Le public ne va pas au cinéma seulement pour se divertir, mais pour découvrir. Le cinéma ne sert pas tant à répondre à des questions qu'à en poser.»

Vues d'Afrique, de l'aveu de son PDG, n'a rien d'un organisme humanitaire ou d'une entreprise de pédagogie, même si son objectif est évidemment d'attirer l'attention sur d'autres modalités d'existence et d'autres manières de s'exprimer. «Le racisme, c'est dépassé. On a fait comme si c'était une époque révolue. Nous ne faisons pas exactement dans la sensibilisation, et cela nous a d'ailleurs causé des problèmes: Afrique et culture, ce n'est pas le ticket gagnant. Les télés ici ne s'intéressent pas au cinéma africain. Il y a une inertie, une paresse mentale de la part des décideurs. Le public d'ici aime beaucoup parce qu'il y trouve de l'authenticité. Le français sera parlé tel qu'il est parlé au Burkina Faso ou au Cameroun, et ça rejoint les Québécois. Par la francophonie, il y a une sympathie naturelle. Le Québec a besoin d'alliés.»

Des films commerciaux

Outre le documentaire, le cinéma-vérité et le témoignage vibrant, Vues d'Afrique propose aussi des films «commerciaux», c'est-à-dire du cinéma de genre nourri par les modes et la télévision, dont le cinéma de Nollywood (l'équivalent nigérian du Bollywood indien). Le Chêne dit: «C'est une évolution du cinéma africain, Nollywood, où il se produit jusqu'à 2000 films par année. Mais cela dépend de ce qu'on appelle un film! Ce sont des productions à petits budgets, entre 10 000$ et 15 000$. Et ils fabriquent cinq ou six films en même temps, dans les mêmes décors. Il s'est passé la même chose au Québec dans les années 70. Les gens sont fatigués de voir des films américains ou français, ils sont très indulgents quand ils voient des films sur leur propre réalité, qui parlent leur propre langue. Nous vivons à peu près les problèmes: difficultés de fric, arnaques, histoires sentimentales, etc. Ce cinéma vient d'un désir d'expression et d'affranchissement.»