Le Français Jacques Audiard a fait une entrée en force dans la compétition samedi au 62e Festival de Cannes avec Un prophète, haletant film noir et saisissante plongée dans l'univers carcéral, qui révèle un candidat sérieux au Prix d'interprétation, le jeune Tahar Rahim.

Sur une Croisette où le soleil était de retour, Jacques Audiard, premier des quatre Français à entrer dans la course à la Palme d'or, a marqué les esprits avec Un prophète, tandis que le Taïwanais Ang Lee surprenait en dévoilant une comédie légère, Taking Woodstock.

Co-écrit par Thomas Bidegain et Jacques Audiard à partir d'une idée originale d'Abdel Raouf Dafri, le scénariste de Mesrine, Un prophète happe le spectateur pendant deux heures et demie.

Il suit Malik El Djebena (Tahar Rahim, stupéfiant dans son premier rôle) un garçon de 19 ans sur lequel se referment pour six ans, les portes de la centrale.

Orphelin, illettré, sans amis, il est une page vierge sur laquelle vont venir s'inscrire les codes brutaux de l'univers carcéral.

Entre le clan des Corses et celui des Arabes, Malik choisit le premier en dépit de ses origines, et se retrouve sous la coupe de César (Niels Arestrup) qui lui offre sa protection contre des «missions» criminelles.

S'adaptant remarquablement vite, il devient un vrai malfrat.

Un prophète éblouit par sa tension permanente, l'énergie qui se dégage d'une mise en scène virtuose et le brio avec lequel Audiard s'affranchit de tous les clichés des films sur la prison, pour signer un haletant film noir.

Une humanité coupée de la civilisation s'y réorganise sur la base de comportements primaires, d'instincts communautaristes - sinon racistes - et la violence extrême est la seule voie de survie.

«Ce qui m'intéressait, c'est de traiter la prison comme métaphore de la société», a affirmé Jacques Audiard lors d'une conférence de presse.

 «Le personnage rentre et sort, au bout d'un moment le dedans et le dehors, c'est la même chose. Ce qu'il peut apprendre à l'intérieur lui servira à l'extérieur», a-t-il poursuivi, récusant avoir fait un «film de dénonciation».

 «Le titre Un prophète nous l'avons pris dans un sens ironique, il annonce un nouveau type de criminel, qui n'est pas un psychopathe, il est même un peu angélique», a expliqué Audiard.

Fils du réalisateur et dialoguiste Michel Audiard, Jacques Audiard est à 57 ans l'un des rares cinéastes français à exceller dans le film noir et l'auteur d'«Un héros très discret», prix du meilleur scénario à Cannes en 1996 ou encore de «De battre mon coeur s'est arrêté» qui a raflé huit César dix ans plus tard.

Samedi, le Taïwanais Ang Lee a dévoilé en compétition une désopilante comédie intitulée «Taking Woodstock», qui sortira aux Etats-Unis à la mi-août, pour le 40e anniversaire de la grand-messe hippie.

Inspiré du roman d'Elliot Tiber et photographié par le Français Eric Gautier - qui signe aussi la photo des «Herbes folles» d'Alain Resnais -, il relate les coulisses de l'organisation du festival.

 «J'ai fait six tragédies à la suite. Je voulais tourner une comédie avec du drame mais sans cynisme», a expliqué l'auteur du «Secret de Brokeback mountain» qui lui a valu l'Oscar du meilleur réalisateur.