Plus de trois siècles après sa création, La princesse de Clèves a suscité un débat en France pendant la dernière campagne présidentielle. La belle personne, une adaptation très libre du roman classique de Madame de La Fayette, est la réponse de Christophe Honoré à une déclaration de Nicolas Sarkozy qui en a ridiculisé l'importance.

Au moment où il tournait Dans Paris à l'hiver 2006, Christophe Honoré a décidé de se fixer au moins deux autres rendez-vous de façon très précise. En 2007 et en 2008, toujours au mois de janvier, il reviendrait tourner un film dans un quartier de Paris. En toute liberté.

«Je n'avais pas en tête l'idée d'élaborer vraiment une trilogie, mais j'avais envie d'un cinéma plus spontané, expliquait le cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse il y a quelques mois. J'ai voulu filmer des histoires d'amour à Paris en janvier, quoiqu'il arrive. La lumière est très particulière l'hiver.»

En 2007, Honoré tourne Les chansons d'amour, un film qui, en France, a eu un impact certain auprès des adolescents. L'année suivante, le réalisateur de Ma mère place sa caméra dans un lycée afin d'y raconter l'amour sur un mode plus «littéraire». Ou, à tout le moins, pour établir des correspondances avec une oeuvre classique, écrite trois siècles plus tôt. Il y met la fougue de celui qui constate une détérioration inquiétante autour de tout ce qui touche le domaine culturel.

En plus de clore une trilogie spontanée, La belle personne résonne comme un cri d'alarme dans l'oeuvre d'un cinéaste pour qui la pérennité de la culture doit constituer une valeur essentielle. Le film a en effet été conçu en réponse à une déclaration de Nicolas Sarkozy (voir ci-dessous), lancée alors que ce dernier commençait sa campagne électorale présidentielle. À cette époque, Christophe Honoré tournait Dans Paris.

«On dénote dans cette déclaration un vrai mépris de la culture, s'emporte le cinéaste. Désormais règne l'ordre de la vulgarité, du populisme, le degré zéro de la connaissance. Voilà quelqu'un qui n'a jamais lu un livre de sa vie et qui s'en fait une gloire. Cela n'existait pas en France auparavant!»

Honoré a ainsi pris le pari d'adapter très librement l'oeuvre dénoncée par le futur président de la République, et d'en transposer l'intrigue dans un lycée parisien. L'esprit du roman de Marie-Madeleine de La Fayette, publié en 1678 (considéré comme le premier roman moderne de la littérature française), trouve ainsi un écho résolument contemporain.

«À partir du moment où l'on parle d'amour, il importe peu que les sentiments soient décrits au XVIIe ou au XXIe siècle, observe le prolifique cinéaste. L'adolescence constitue également un moment privilégié pour rencontrer l'art. Il s'agit simplement de tomber sur des adultes - des profs bien souvent - qui savent bien ce que vaut la culture. Et puis, les lycéens d'aujourd'hui n'arrêtent pas d'écrire. Souvent, ils possèdent la langue écrite mieux que bien des adultes. Bien entendu, le langage un peu précieux que les jeunes utilisent dans le film ne correspond pas tout à fait à la réalité, mais il met néanmoins les sentiments en exergue de façon très précise.»

Une autre tonalité

D'une certaine façon, La belle personne propose une autre tonalité dans les productions destinées au public adolescent. Au centre de l'histoire, une jeune fille de 16 ans (Léa Seydoux) qui refuse de vivre une grande histoire d'amour avec un prof (Louis Garrel), se contentant plutôt de semer le trouble auprès d'un camarade plus fragile (Grégoire Leprince-Ringuet). La présence des deux vedettes masculines, stars auprès des ados depuis Les chansons d'amour, a d'ailleurs créé un certain émoi auprès des étudiants du lycée Molière, où le tournage a eu lieu.

«Je tenais à ce que le lycée soit en pleine activité pendant notre tournage, explique Honoré. L'idée était de sentir la vie, de donner au film un aspect relevant presque du documentaire. Je ne voulais pas fermer le plateau, ni bloquer les rues. Nous avons tourné en équipe légère pendant 20 jours, expressément pour avoir cette souplesse.»

S'il s'inquiète de la dévalorisation de la culture en général, Christophe Honoré dit par ailleurs être aussi très préoccupé par la marginalisation progressive du cinéma d'auteur.

«Le cinéma français n'est plus l'un des chefs de file au chapitre des courants esthétiques. Notre territoire s'asphyxie. À tel point que les gens ne comprennent plus ce que l'on fait. Je crois que le malentendu découle du fait que l'on demande de plus en plus aux cinéastes français de traiter de thèmes sociologiques. Or, ce n'est pas ce que nous faisons de mieux. Nous sommes très loin des Britanniques dans ce domaine. Notre tradition cinématographique est plus littéraire, plus romanesque. Ma frénésie de tourner est pour moi une forme de résistance!»

Même s'il se réjouit du fait que les cinéastes français de sa génération se soient enfin décomplexés de la Nouvelle Vague, Christophe Honoré regrette, en revanche, un certain «ramollissement» sur le plan de la cinéphilie.

«Il y a finalement très peu de vraie pensée autour du cinéma aujourd'hui. On ne peut que le déplorer.»

__________________


La belle personne est présentement à l'affiche.


Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

La déclaration de Sarkozy

«Dans la fonction publique, il faut en finir avec la pression des concours et des examens. L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle!»

- Nicolas Sarkozy, dans un discours à Lyon, le 23 février 2006