Il y avait trois ans que Louis Bélanger n'avait pas donné signe de vie au grand écran. Depuis Le génie du crime, en fait, sorti de façon confidentielle et accueilli dans l'indifférence. Ce qui ne veut pas dire que le cinéaste originaire de Beauport se la coulait douce pour autant pendant cette éclipse professionnelle.

Tournage de son premier film en anglais The Timekeeper, écriture du scénario d'un road movie dont le tournage commence la semaine prochaine dans le Bas-du-Fleuve, mise en scène d'une pièce au Quat' Sous, à Montréal (Mort de peine, avec Louis Champagne), une autre première pour lui, Bélanger a tout fait sauf se reposer sur ses lauriers.

The Timekeeper (L'heure de vérité en version française, à l'affiche la semaine prochaine) marque une tendance observée depuis un moment au cinéma québécois, avec une lignée de réalisateurs ayant choisi de tourner dans la langue de Shakespeare. Denys Arcand (Love and Human Remains), Robert Lepage (Possible Worlds), Léa Pool (The Blue Butterfly), Émile Gaudreault (Surviving My Mother), sans oublier sur le plan international les François Girard (Silk) et Jean-Marc Vallée (The Young Victoria), Louis Bélanger se joint à une illustre confrérie.

 

 

D'entrée de jeu, au bout du fil, Bélanger explique que le choix de l'anglais comme langue de tournage s'imposait pour The Timekeeper, d'abord et avant tout dans le souci de coller le plus fidèlement possible au roman du Montréalais Trevor Ferguson. «L'action se déroule dans les Territoires du Nord-Ouest, dans les années 60. À l'époque, c'était une mentalité de far west, explique-t-il au Soleil. Ceux qui montaient là-haut pour travailler fuyaient le Sud. Il n'y a pas d'équivalent au Québec, même si j'ai pensé un moment transposer le scénario dans un chantier de la baie James.»

 

Derrière ce choix, il y a aussi le désir de Bélanger de sortir de sa zone de confort. «C'était un défi intéressant. Je voulais essayer autre chose, ne pas rester dans les mêmes plates-bandes. Par exemple, faire un autre film à la Gaz Bar Blues

 

Enjeux moraux

 

Dès la première lecture, Bélanger a tout de suite été happé par le roman de Ferguson, qui relate les aventures d'un jeune homme de 18 ans, Martin Bishop (l'acteur originaire de Halifax, Craig Olejnik), qui découvre les méthodes de travail peu orthodoxes du contremaître d'un chantier de chemin de fer (Stephen McHattie). Cette «oie blanche» sera contrainte de naviguer entre le bien et le mal, surtout lorsque sa témérité l'amènera à s'enfuir dans la forêt, en compagnie d'une poignée de travailleurs (dont Roy Dupuis et Gaston Lepage) mis au ban par le vil patron.

 

«Le personnage de Bishop est confronté à plusieurs enjeux moraux. Il a tout perdu. La seule chose qui lui reste, c'est son bagage moral que lui a légué son père. Il s'accroche à ça. Il défie l'autorité parce qu'il ne sait pas comment continuer à vivre s'il ne le fait pas. Ce n'est pas toujours facile dans la vie de marcher la tête haute. C'est moins de trouble si tu fermes ta gueule et que tu plies l'échine.»

 

«J'ai été charmé par l'écriture de Trevor», ajoute Bélanger, qui parle de l'adaptation d'un roman au cinéma comme d'«un cadeau empoisonné», où il faut être capable de «s'approprier l'oeuvre sans la dénaturer».

 

La qualité des dialogues l'a particulièrement séduit. «Même si on a affaire à des gars pris dans le bois, les personnages s'expriment de façon élégante. Comme ce cuisinier oracle qui livre des discours délirants sur le bien et le mal. Ou le contremaître qui fait peur avec son verbe. C'est la même chose que dans le film des frères Coen, O Brother, Where Art Thou?, où les personnages sont de parfaits imbéciles, mais s'expriment dans une langue vivante.»

 

Page méconnue de l'histoire

 

Tourné il y a deux ans dans la réserve faunique de Port-Cartier (le long métrage s'est retrouvé ensuite coincé dans les problèmes financiers de Christal Films), The Timekeeper est jusqu'à ce jour le film le plus ambitieux du réalisateur de 45 ans, avec un budget de près de 6 millions $. Et son plus canadian, évidemment, avec la reconstitution d'une portion méconnue de l'histoire du pays, alors que des milliers de travailleurs ont trimé dur, dans des conditions pitoyables, pour construire les premières lignes de chemins de fer au Nord.

 

«On sent que chaque pouce [de rail] était dur à gagner. Les figurants étaient les mêmes qui ont posé du rail dans le nord du Québec. Si tu voyais les mains de ces gars-là. Quand ils ont un marteau entre les mains, ils savent quoi en faire...»

 

La forêt, «qui fait office de milieu carcéral», constitue un personnage en soi dans le film. La perspective d'aller se perdre dans le bois pour tourner son film a tout de suite enchanté le cinéaste, qui voyait là d'abord une occasion «de sortir de Montréal»; ensuite une possibilité de se frotter à de nouveaux défis de tournage, de surcroît en cinémascope, en collaboration avec le directeur photo Guy Dufaux.

 

La forêt, Guy Bélanger s'y sent comme aussi bien qu'un maringouin dans un bosquet d'épinettes. «Je me sens à l'aise dans le bois. J'ai un schak, sans électricité, où je vais souvent à la pêche avec Denis Chouinard et Robert Morin.»

 

La nature et le grand air par le travail, Bélanger pourra en jouir encore très bientôt, avec le tournage de Demande à ceux qui restent. Au petit matin, mardi, il sera sur les battures de Saint-André de Kamouraska pour le premier clap de cette production sur l'histoire d'un père endeuillé par la mort de son enfant (Alexis Martin), de retour au pays de ses ancêtres avec son ami petit escroc (François Papineau).