En pleine controverse sur le genre d'une athlète sud-africaine, un film présenté à Berlin retrace l'histoire d'une championne juive privée de Jeux olympiques par les nazis au profit d'une concurrente qui s'avéra être un homme.

Berlin 36, de l'Allemand Kaspar Heidelbach, sort en septembre en Allemagne. Mais hasard du calendrier, la première a eu lieu juste après la victoire le 19 août dernier sur 800 m aux championnats du monde d'athlétisme, qui se déroulaient à Berlin, de la jeune Sud-Africaine Caster Semenya, soupçonnée d'être hermaphrodite et objet d'une enquête des autorités sportives.

Le film raconte l'histoire de Gretel Bergmann, une championne de saut en hauteur exilée en Grande-Bretagne depuis 1933 mais contrainte par les nazis à revenir en Allemagne afin de prouver au monde, inquiet de la politique raciale allemande, que des athlètes juifs participeraient bien aux Jeux olympiques de 1936, organisés dans la capitale du Reich.

Mais Gretel Bergmann, incarnée par l'actrice Karoline Herfurth, ne prit jamais part aux épreuves. Peu avant l'ouverture des JO, le pouvoir nazi décréta ses performances insuffisantes et fit courir la rumeur qu'elle était blessée.

L'athlète de 22 ans venait juste d'établir un nouveau record d'Allemagne en franchissant 1,60 mètre et semblait promise à un podium olympique. Or Hitler était peu désireux de voir une juive infirmer sous les applaudissements du stade sa théorie sur la supériorité de la race aryenne.

Deux autres candidates furent retenues, Elfriede Kaun et Dora Ratjen, qui terminèrent 3e et 4e des JO.

Mais Dora Ratjen était en fait un homme. Gretel Bergmann l'ignorait. Les nazis le savaient-ils? L'avaient-ils sciemment poussée dans l'arène? Il n'y eut en tout cas aucun scandale pendant les JO.

En 1938, un tribunal transforma officiellement Dora en Heinrich. Dora fut déchue de ses titres d'athlète et Heinrich fit la guerre comme soldat. Gretel Bergmann découvrit l'histoire dans les années 60, dans un magazine américain.

«Je savais depuis mon retour d'Angleterre qu'ils trouveraient un moyen de m'exclure», confie aujourd'hui à la presse allemande l'ancienne athlète, âgée de 95 ans.

Après la promulgation des lois anti-juives en 1933, interdite d'entraînement et d'études, Gretel Bergmann se réfugie en Grande-Bretagne avec la ferme intention de «montrer à ces salauds ce que peut faire une juive», comme elle le raconte dans ses mémoires parues en Allemagne.

Elle y parvient avec brio en devenant dès 1934 championne de Grande-Bretagne de saut en hauteur.

Les nazis font alors pression sur sa famille pour que l'athlète rentre au pays et prépare les JO, afin de donner le change face aux menaces internationales de boycott au cas où les juifs seraient exclus des Jeux.

Une fois certains que l'équipe olympique américaine a bien embarqué sur un bateau pour l'Europe, les nazis écartent Gretel Bergmann.

«J'aurais décroché l'or, rien d'autre que l'or. Plus j'étais en rage, plus je sautais haut», assure l'ancienne athlète, qui aurait été la seule «100 % juive» au sein de la délégation allemande. «Je les aurais humiliés et après, ils m'auraient tuée».

Après les Jeux, Gretel Bergmann réussit à émigrer en 1937 vers l'Amérique et devient la même année championne des États-Unis de saut en hauteur. Elle confirme son titre en 1938 et obtient peu après la nationalité américaine.

Gretel Bergmann s'appelle aujourd'hui Margaret Lambert et vit à New York. Elle fut l'invitée d'honneur du comité olympique allemand aux JO d'Atlanta en 1996. Et fondit en larmes dans les tribunes.

Elle n'a jamais revu Dora-Heinrich, mort en 2008.