Le cinéaste iranien Jafar Panahi n'avait pas fréquenté de festival de cinéma depuis longtemps. En prenant la parole au nom du peuple de son pays sur la scène internationale, le président du jury du FFM sait bien ce qui l'attend...

Le cinéma de Jafar Panahi a toujours raconté l'Iran. L'ancien assistant d'Abbas Kiarostami a été révélé au monde grâce au superbe Ballon blanc, chronique émouvante qui lui a valu à Cannes la Caméra d'or, remise au meilleur premier long métrage, toutes catégories confondues. Depuis, la notoriété de l'auteur cinéaste n'a cessé de croître sur la scène internationale, malgré, parfois, les interdictions qui frappent certains de ses films chez lui.

«Je n'ai pu tourner que cinq longs métrages en 15 ans, fait remarquer le cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse. Chaque fois, il m'a fallu me battre et emprunter des voies de contournement pour parvenir à réaliser le film que je voulais faire.»

La censure veille au grain. Panahi refuse pourtant de signer des oeuvres imprimées du sceau du régime. Le cercle, qui évoque la condition des femmes iraniennes, lui vaut le Lion d'or du Festival de Venise en 2000. Son plus récent film, Offside, a été récompensé d'un Ours d'argent à Berlin il y a trois ans. Il n'a rien pu tourner depuis.

«Enfin si, précise-t-il. Je pourrais réaliser des films «approuvés» par les autorités. Cela ne m'intéresse pas. D'autant plus qu'avec tout ce qui se passe en ce moment, mon approche devient encore plus radicale. Il y a tout un pan du cinéma iranien qui se produit désormais dans des réseaux souterrains. Je finirai bien par trouver le moyen de tourner. Ce ne sont pas les idées qui manquent!»

Panahi lui-même a été au coeur de «ce qui se passe en ce moment». Il fait partie de ceux qui n'ont pas hésité à descendre dans la rue pour exprimer leur indignation à la suite de la «réélection» du président Mahmoud Ahmadinejad. «Tout le monde sait que cette réélection n'est pas légitime, souligne-t-il. C'est une véritable insulte à l'intelligence. Le peuple n'est pas dupe.»

Sous arrêt

Le 30 juillet dernier, il est arrêté avec sa femme et sa fille à Téhéran pour avoir assisté dans un cimetière à une cérémonie commémorant les victimes tombées dans les rues. La plus célèbre d'entre elles est Neda Afgha-Soltan, dont l'image a envahi le Net et a fait le tour du monde.

Quand on évoque son courage - exprimer publiquement son opposition demeure un acte à haut risque en Iran -, le cinéaste se rebiffe un peu. «Le vrai courage, c'est celui dont font preuve tous ces protestataires anonymes. Qui, malgré le danger, n'hésitent pas à manifester. De mon côté, la notoriété dont je dispose sur le plan international me confère une certaine immunité.»

Immunité, peut-être. Mais l'auteur cinéaste sait très bien qu'il aura des comptes à rendre en rentrant chez lui. Il n'avait d'ailleurs pas fréquenté un festival de cinéma à l'extérieur de son pays depuis près de deux ans.

«J'ai pu quitter l'Iran sans aucun problème pour venir ici. Je dispose d'un passeport en règle et les autorités canadiennes m'ont délivré un visa en bonne et due forme. Chez nous, ce n'est pas quand on part que les problèmes commencent. C'est quand on revient! Je sais qu'on m'interrogera à mon retour. Mais je ne veux pas me taire. Je sais ce que je fais. Le mouvement d'opposition est trop important; la lame de fond trop grande. Les jeunes, qui forment la majorité de la population, sont bien résolus à faire changer les choses. Tôt ou tard, ce genre de régime tombera. C'est inévitable.»

Esprit de solidarité

Jafar Panahi dit être touché par l'esprit de solidarité qu'on lui témoigne depuis son arrivée à Montréal. Le soir de l'ouverture, tous les membres du jury ont fièrement arboré les écharpes vertes - la couleur de la contestation en Iran - qu'il leur avait distribuées. De jeunes compatriotes - au visage peint en vert - se sont spontanément joints au groupe. La vidéo circule désormais sur YouTube.

De la communauté internationale, Jafar Panahi espère justement ce soutien, cette solidarité, cette sympathie. Il précise toutefois du même souffle que seul le peuple iranien est appelé à forger son propre destin. «Une intervention militaire internationale serait catastrophique et ne ferait qu'empirer les choses, prévient-il. Je préférerais encore le maintien du régime actuel plutôt qu'un gouvernement mis en place par des forces d'occupation étrangères. Chez nous, les protestataires ont l'intelligence de manifester pacifiquement - malgré le danger - parce qu'ils savent très bien qu'une démocratie ne peut pas s'épanouir dans la violence.»

L'auteur cinéaste, issu du documentaire avant de devenir l'un des plus beaux fleurons de la nouvelle vague du cinéma iranien, croit plus que jamais aux vertus du cinéma.

«Un film ne peut pas changer le monde, reconnaît-il. Mais il peut aider à conscientiser, à faire réfléchir, à sensibiliser. À partir du moment où un spectateur entame une réflexion à la sortie d'un film, le cinéma se révèle très utile.»