Le photographe et cinéaste Raymond Depardon présentait cette semaine la rétrospective que lui consacre la Cinémathèque québécoise. Des premiers films dans les années 60 au tout récent La vie moderne –troisième volet de ses Profils paysans-, de la fiction au documentaire, Raymond Depardon poursuit une œuvre échappant aux clichés. 

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Q : Ce n’est pas la première fois que vous venez à  Montréal.


R: Non. j’étais déjà venu en 1976, pour les Jeux Olympiques. J’étais tout maigre, je pesais 60 kilos. Je sortais d’un an du désert, à marcher avec des nomades (il a réalisé trois documentaires sur le Tchad, ndlr). Une vie très dure. Tout le monde s’étonnait que je faisais les JO : mais j’étais inscrit depuis longtemps (il a photographié les JO de 1964 à 1980). Ça m’a détendu, en fait.

Q : La Cinémathèque vous consacre une rétrospective, organisée avec la collaboration de plusieurs institutions françaises. Est-ce que cela vous a permis de vous promener à travers le monde pour l’accompagner?

R: J’ai arrêté complètement. En tant que cinéaste, vous avez trois films vous avez une rétrospective : c’est comme ça. Au bout de 4-5 films, j’ai eu des rétrospectives, je me suis  que dit que c’est un enterrement de première classe. J’ai fait l’exception pour Montréal, car ici, c’est un lieu qui a toujours été très important et pour moi et pour l’image. Ce qui se faisait à l’époque à l’Office faisait sentir le retard de la France. Je lisais des livres sur ce qui se passait à l’Office. Je voyais bien que le Canada était peut-être écrasé par la langue du voisin, et le cinéma de fiction qu’il fallait défendre l’identité. Faire du cinéma direct était important. C’était lié sans doute à la culture de l’identité du pays (…) Ici c’est une terre de pionniers. Je sais que je suis suivi depuis longtemps : mon parcours, mes hésitations, mes échecs, mon avancement. Vous savez, il y a deux catégories de cinéastes et de photographes : certains font toujours la même chose, d’autres veulent avoir une aventure différente à chaque fois. Comme moi, je flirte des fois avec la fiction, des récits différents, mais j’espère ne pas vendre mon âme au diable. J’ai un point commun avec les Québécois : le fait de parler français entraîne une défense de l’identité (…) C’est quelque chose de moderne.

Q : Vous parlez de modernité liée à la défense du territoire. C’est aussi quelque chose qui est présent dans La vie moderne, votre dernier film. Vos personnages ont conscience de certains enjeux encore absents de la vie urbaine.

L’autre jour j’ai entendu une très belle phrase : il faut fouiller le passé pour dégager le futur. C’est certain que la modernité, on la trouve dans le passé. On peut me reprocher d’être passéiste ou nostalgique, mais cela me sert à aller de l’avant, techniquement ou du point de vue démarche. Aujourd’hui, on voit bien que ces gens-là sont presque en avance. Ils sont dans une résilience. Ils ne gâchent pas la planète. Ils nous donnent une leçon : dans le futur à court terme il va falloir se préparer à cette vie plus ascétique (…)

Q : Vous avez énormément voyagé. Mais ce n’est pas par hasard que vous avez eu envie de revenir vers vos origines avec L’approche (2001), Quoi de neuf au Garet (2004), Le quotidien (2005) et La vie moderne (2008).

R: Ce sont des films privés. On filme les gens chez eux. Cela a été une expérience formidable et libératrice aussi pour moi. Je n’ai jamais pu filmer mes parents, quand on s’est lancés avec Claudine Nougaret (sa compagne, productrice et preneuse de son) dans ce projet on a senti qu’il y a eu une réticence de certaines personnes, notamment nos enfants. C’est fou il y a 15 ans le sujet était tabou. Maintenant on a senti une transformation se faire (…) Ça a été une longue épreuve. On a eu du mal à se produire. Dix ans ont été nécessaires pour travailler ça. Pour voir la marche du temps, il fallait une dizaine d’années. Et à la fois, il fallait quelque chose d’exceptionnel chez moi : arriver à moins tourner. Les paysans n’aiment pas être mis en pâture. Il a fallu toute une initiation pour moi, de comprendre comment faire un film personnel et un regard sur les autres (…) J’ai eu cette chance d’être né sur une ferme. Ça a été une chance. Mes parents étaient du début du siècle et ils ne m’ont jamais réprimandé comme ce que l’on fait en ville. Quand j’ai pris une caméra, mes parents ne savaient pas d’où ca pouvait venir! J’y ai réfléchi, et je crois que j’ai été sauvé par la curiosité. Je suis quelqu’un d’assez casanier, d’assez solitaire. Maintenant je suis bavard, mais avant j’étais taiseux comme ils disent. Il y a quelque chose d’antinomique dans ma démarche : être à la fois timide, silencieux, curieux ou casanier. Et gonflé aussi : partir à Paris comme ça sans rien savoir, même pas boire un café! J’étais vraiment un petit « péquenot ». Mais c’était ma chance parce que quand j’ai pris une caméra j’ai eu une espèce de naïveté. J’ai été assez primaire. Il faut être simple. Il y a un côté de désir d’amour. On filme ce que l’on aime. J’ai filmé ce dont j’ai eu peur, d’être enfermé, de la justice, de la psychiatrie. Ce long itinéraire m’a servi pour faire ce film. Il faut vraiment avoir une confiance incroyable au cinéma pour pouvoir lancer la caméra sur des choses qui ne sont pas un scoop. Et pourtant! Ce qui est incroyable dans le cinéma et qu’il faut devancer l’événement (…) Je sais qu’il y a des mots incroyablement juste : je fais du cinéma. Le parler est d’une force inouïe. Il faut chercher ce discours frais des gens de la rue. Je n’ai aucun mépris pour ce parler. Il a une force poétique et politique. On a encore des choses à apprendre des choses de la rue ou de la campagne. Les grands intellectuels, à la radio ou la télé, je suis désolé, mais le langage est encore langue de bois. Ce n’est pas clair. Chez les paysans, c’est super clair. Voilà. Il y a une modernité chez eux. Moi je dois faire un film comme ça. Vous vous rendez compte qu’il y a seulement 80 plans et on a presque rien tourné de plus. Il n’y avait plus rien. Comme si je m’étais épuisé moi-même. Je le dis : je suis apaisé, du point de vue de l’esprit et du point de vue cinématographique. J’ai beaucoup travaillé là-dessus. Aujourd’hui, je me sens soulagé je peux repartir sur d’autres horizons.

Q : Pour vos Profils paysans, est-ce que vous abordiez vos personnages comme fils de la région? Comme célèbre photographe ou cinéaste?

Surtout pas! Il ne faut surtout pas rouler des mécaniques. Comme pour un fait divers. J’avais été à l’école des journalistes des années 60 : on avait appris à jouer au con, pour savoir photographier aussi bien une princesse qu’un fait divers. C’est comme être un peu tapis roulant. Il faut s’adapter à qui l’on est : c’est ça le propre du journalisme. C’est la meilleure école. Il faut toujours deviner avec qui l’on est.

Q : Et alors est-ce que l’on aborde un juge, un candidat à la présidence ou des paysans de la même façon?

R : Ma force, je crois, c’est de ne jamais avoir été dans un cinéma politique. Moi ce qui m’intéressait dans Valéry Giscard d’Estaing (dont il a filmé la campagne en 1974) c’était la solitude du candidat. Il était très seul. Derrière ce côté grande bourgeoisie, il avait des moments comme ça où tout le monde le regardait toujours. Il y avait la solitude, l’apprentissage, l’initiation de l’homme politique qui naît devant vous. On ne peut pas me reprocher d’être manichéen. Je n’appuie pas, mais je montre. Des fois c’est difficile de voir la réalité. Je suis autant à égale distance du juge, de l’homme politique ou de la victime. Je ne suis ni l’un ni l’autre. J’ai ma noblesse de fils de paysan. Je suis quelqu’un d’un peu en dehors, je suis un peu 19ème siècle.

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La rétrospective se poursuit jusqu’au 3 octobre. www.cinematheque.qc.ca.