En France, les Noirs sont aussi rares au cinéma que sur les pentes de ski. Mais avec un peu de bonne volonté, cela pourrait changer.

Voilà en substance les propos de Lucien Jean-Baptiste, réalisateur et acteur principal de La première étoile, film d'ouverture du 5e Festival du film haïtien, qui débute mercredi et se poursuit jusqu'au 27 septembre.

Encore peu connu du grand public, ce Martiniquais d'origine vient d'attirer l'attention en France avec cette comédie aigre-douce qui raconte les improbables vacances d'une famille de Noirs à la montagne. Sorti en mars dernier, le film a d'ores et déjà rejoint le club sélect des gros succès populaires, avec plus d'un million et demi d'entrées et le prix du jury au Festival du film comique d'Avoriaz.

L'histoire? Celle d'un père irresponsable (Lucien Jean-Baptiste) qui amène ses trois enfants et leur grand-maman (Firmine Richard) faire du ski. Jusque là, rien de très original. Sauf que cette famille est martiniquaise et que les Noirs, c'est bien connu, n'ont pas vraiment le gène des sports d'hiver. Ce «choc culturel» est évidemment prétexte à certains gags, certains plus drôles que d'autres, mais le tout se transforme bientôt en fable humaniste sur fond de tolérance et de rédemption paternelle.

Peu surpris par son succès, Lucien Jean-Baptiste croit que le film a rejoint les foules à cause de la «sincérité du propos».

Ce qui l'étonne, en revanche, est d'avoir trouvé des producteurs assez «culottés» pour appuyer un projet aussi risqué. Car au départ, La première étoile était doublement désavantagée. «Non seulement nous sommes cinq comédiens inconnus, mais, en plus, nous sommes noirs! lance le réalisateur. En général, les décideurs préfèrent toujours avoir des acteurs blancs, connus, que les gens aiment. Il leur faut des vedettes. Des artistes rentables. Mais dans ce cas-ci, il y a des gens qui voulaient faire bouger les choses. De nous endosser, c'était pratiquement un manifeste.»

La voix de Ice Cube

Selon Jean-Baptiste, qu'on a découvert comme acteur dans le film Emmenez moi (avec Gérard Darmon), le cinéma français est encore loin d'être un éden pour les acteurs black.

La proportion de Noirs dans l'Hexagone (à peine 2 millions, sur 60 millions de Français) explique en partie cette sous-représentation dans l'industrie, tout comme les habitudes culturelles, qui les incitent plutôt à devenir sportifs ou musiciens. Mais il serait grand temps, croit-il, qu'on donne la chance à ceux qui ont choisi ce métier.

«Il y a une nouvelle génération d'acteurs noirs en France qui est prête à jouer des rôles principaux. Le problème, c'est qu'on nous cantonne encore dans des rôles stéréotypés de faire-valoir, de sans-papiers ou de jeunes des cités.

«Les auteurs blancs ont un vrai problème d'imagination. Quant aux décideurs, ils décident mal. Ils pensent que le grand public ne s'identifiera pas à des personnages de couleur noire. Mais c'est de la foutaise et le succès de mon film en est la preuve. Pourquoi ne pourrait-on pas s'identifier à un Noir, alors qu'on peut s'identifier à Bambi et Daffy Duck!»

Il faudra plus de «volonté politique», croit l'acteur, pour que les mentalités changent. Car pour l'heure, le succès de La première étoile semble être l'exception qui confirme la règle.

En attendant, les acteurs black se rabattent sur le doublage, où leurs talents sont devenus indispensables. Et ce sont eux qui, systématiquement, doublent les personnages noirs des films américains.

Lucien Jean-Baptiste, par exemple, est la voix française officielle de Chris Rock, Omar Epps et Martin Lawrence, trois acteurs qui, dit-il, demandent une approche, un rythme et un timbre totalement différents.

«Les plus difficiles à doubler sont les mauvais acteurs, conclut-il. Prenez Ice Cube. Il m'a vraiment fait suer. Son débit est impossible à suivre. C'est une rythmique qui se traduit mal. Et en plus, il mange ses mots!»

La première étoile, de Lucien Jean-Baptiste. Mercredi 23 septembre à 19h au Centre Leonardo Da Vinci, en présence du réalisateur. Programmation complète au www.festivalfilmhaitien.com