Pierre Falardeau n'est plus. La plus grande gueule du cinéma québécois s'est tue. À jamais. Sans doute au grand soulagement de ceux qui étaient incapables de supporter son style. Mais aussi au grand malheur de ses intimes, amis et collaborateurs qui, pour des raisons opposées, l'appréciaient tant.

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J'ai eu l'occasion de le rencontrer à quelques reprises, pour la sortie de ses derniers films. D'une fois à l'autre, nos entretiens commençaient ainsi. Seuls ses jurons, indissociables du personnage, pouvaient changer.

«Tiens, Provencher, du Soleil... Gescâ!... Power Corporation! Pis, comment tu trouves ça, travailler pour Desmarais, ciboire?, lançait-il, son éternelle clope au coin des lèvres.

Malgré ces pointes de sarcasme, le bonhomme restait attachant. Sa culture était impressionnante. La politique internationale le passionnait. Il en savait long sur l'histoire avec un grand H. La sienne et la nôtre, bien sûr, mais aussi celle des autres peuples. Falardeau donnait toujours de la «maudite bonne copie». Pour les journalistes, il était du bonbon.

 

Ses films, davantage que ses écrits, ont contribué à le faire connaître. Et, par la bande, à propager ses opinions si controversées sur le nationalisme québécois. «J'écris, mais je ne me considère pas comme écrivain. D'abord et avant tout, je suis cinéaste», peut-on lire en exergue du scénario de 15 février 1839.

Elvis Gratton, caricature du Québécois colonisé, n'a plus besoin de présentation. Si le premier film de la trilogie, fait avec deux fois rien, est devenu une oeuvre culte, il devait en être autrement pour les deux épisodes subséquents, summum de la grosse farce épaisse.

Il faut en convenir, l'humour de Falardeau ne volait pas toujours très haut. Son talent s'exprimait de façon plus convaincante lorsqu'il mettait son coeur et ses tripes sur la table.

Dans Le party, il s'aventurait à l'intérieur des murs d'un pénitencier pour traiter de la solitude et du mal de vivre des détenus. Souvenez-vous de Richard Desjardins chantant Le screw. Une scène d'anthologie.

Son incursion dans le monde de la boxe (Le steak), avec l'ex-champion Gaétan Hart, a donné au cinéma québécois l'un de ses films sportifs les plus percutants.

Avec Octobre, il jetait un éclairage intimiste sur les relations entre les quatre militants du Front de libération du Québec, kidnappeurs du ministre Pierre Laporte, pendant les événements d'octobre 1970. Mémorable.

Mais sa pièce maîtresse reste 15 février 1839, où il s'intéressait aux derniers moments de l'un des chefs de file du soulèvement des Patriotes de 1837-38, Chevalier de Lorimier. Les moments où le personnage (Luc Picard) et sa femme Henriette (Sylvie Drapeau) se font leurs adieux auraient pu faire fondre un iceberg. «Mais tout ça, c'est d'la politique... Moi, j'veux pas te perdre... C'est toi que j'aime... pas ta révolution. Moi, mon pays... c'est toi. C'est pas juste que tu payes pour les autres.»

Et lorsque De Lorimier, sur l'échafaud, lance «Vive le Québec! Vive l'indépendance!», ces paroles ont une puissance qui résonne aussi fort dans l'imaginaire que celles du patriote écossais William Wallace (Mel Gibson), en finale de Braveheart.

Il ne faudrait pas non plus oublier un court-métrage méconnu, distribué sous le manteau, en 1993, Le temps des bouffons. Sur des images d'un chic banquet tenu au Beaver Club, Falardeau se livrait à une charge à fond de train contre l'establishment, la haute finance, les plénipotentiaires hommes d'affaires à cigare.

Avec son mémorable style «bulldozer» et «rendre dedans», Falardeau s'érigeait en porte-voix des laissés-pour-compte, des exclus du système, des démunis et autres opprimés. Sans doute son film le plus provocant.

Le départ de Falardeau représente une lourde perte. Son cinéma en était un de résistance, tourné avec la caméra à gauche, indifférent aux modes et aux impératifs commerciaux, soucieux de parler du Québec d'hier et d'aujourd'hui, ce Québec qu'il aimait tant. Parfois maladroitement, mais avec une passion qu'on ne pourra jamais remettre en question.