Il y a cinq ans, Téléfilm Canada et la SODEC ont annoncé en grande pompe la création d'un nouveau festival international de cinéma à Montréal, chapeauté par l'Équipe Spectra. Ce festival «rassembleur», soutenu par le milieu du cinéma, devait redorer le blason de Montréal sur l'échiquier cinématographique mondial. On connaît la suite. Le seul et unique Festival international de films de Montréal (FIFM) fut un fiasco. Guerres intestines, salles vides, programmation médiocre, vices de procédure des institutions, déficit de plusieurs centaines de milliers de dollarset une réputation internationale entachée pour des années à venir.

Cinq ans plus tard, le rêve d'un festival rassembleur au réel rayonnement international s'est évaporé au profit de festivals de niche, soutenus par les gouvernements et des publics fidèles.

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Le Festival des films du monde, qui n'a plus l'ombre de son lustre d'antan, a attiré cette année des «voyageurs du cinéma» en plus grand nombre que les années précédentes. Le 39e Festival du nouveau cinéma, qui se termine demain, a fait plusieurs fois salle comble grâce à des propositions plus cinéphiliques. Fantasia attire un jeune public friand de cinéma de genre et Cinémania fait le bonheur des amateurs de cinéma français, dont la diffusion est de plus en plus difficile au Québec.

Doit-on regretter aujourd'hui l'occasion ratée du FIFM, qui devait sortir Montréal de la torpeur du FFM et suppléer aux ambitions essentiellement locales du FNC? Doit-on plutôt embrasser la multiplication des festivals de niche permettant de découvrir des oeuvres qui, faute de distributeur, de salle ou de public assez vaste, ne pourraient autrement être vues?

«On a perdu plus qu'un festival rassembleur, croit le producteur Roger Frappier (Max Films), qui s'est impliqué dans la création du FIFM. On a perdu un festival de pointe: le Digimart (intégré au FIFM) de Daniel Langlois, qui s'est lui-même éloigné du cinéma. Un festival est un pôle d'attraction. Il favorise les rencontres, il encourage la production étrangère et la mise en valeur des installations. On n'attire plus l'industrie à Montréal avec nos festivals. Les conséquences vont au-delà des festivals. Montréal a beaucoup perdu.»

Pierre Brousseau, directeur de la distribution chez Films Séville, est aussi d'avis que l'échec du FIFM a eu un impact important sur la métropole. «Il n'y a plus d'alternative possible. C'est le statu quo, dit-il, d'un point de vue politique et économique. Il n'y a pas de vrai festival à portée internationale sans marché. Or il n'y a pas de véritable marché à Montréal. Montréal n'existe pas à l'échelle mondiale. Toronto a pris toute la place. C'est terminé.»

La SODEC et Téléfilm Canada, échaudés par la déconfiture du FIFM - qui leur a fait perdre des plumes - semblent s'être résignés à accepter l'absence de rayonnement international des festivals de cinéma montréalais comme une fatalité. Le Festival des films du monde, sans faire de grand compromis, est revenu dans les bonnes grâces des institutions. Le Festival du nouveau cinéma, injustement écarté lors de l'appel d'offres pour un festival «rassembleur», poursuit sa mission, sans savoir ce que l'avenir lui réserve. Une multitude de festivals plus modestes reçoivent également leur part de la tarte de subventions.

Doit-on y voir un manque de vision ou une nouvelle lucidité de la part des institutions? «Il faut peut-être accepter la donne et la place que l'on occupe, croit Charles Tremblay, président de Métropole films, l'un des principaux distributeurs de films internationaux au Québec. Les festivals de niche sont adaptés à notre marché. Ils font le plein de spectateurs. Est-ce que Montréal souffre de ne pas avoir un grand festival rassembleur? Il y a moins de vedettes, d'acteurs et de cinéastes en ville, c'est vrai, mais pour les cinéphiles et les distributeurs, je ne crois pas que cela change grand-chose.»

Les festivals montréalais n'attirent plus les grands noms du cinéma mondial. Le foisonnement d'antan a laissé place à une certaine indifférence du milieu du cinéma. Les festivals fonctionnent en vase clos, sans trop d'éclat, et sans la participation active des distributeurs et producteurs locaux. Les primeurs restent nombreuses, mais les titres les plus prestigieux se font de plus en plus rares, comme les invités de marque.

Costa-Gavras proposera une leçon de cinéma à Cinémania, comme Angelopoulos avant lui au FFM. George Romero est venu cette semaine au FNC, qui lui rendait hommage. Au milieu des années 90, en comparaison, le Festival des films du monde fourmillait des cinéastes et acteurs du moment. Et grâce à l'impulsion d'Ex-Centris et de Daniel Langlois, le Festival du nouveau cinéma avait il y a quelques années un pouvoir d'attraction qu'il n'a plus aujourd'hui.

Nos festivals ne trouvent pratiquement plus d'écho dans la presse internationale, sinon dans quelques entrefilets ou publications marginales. Ils ont de la difficulté à intéresser même les médias locaux. Le changement dans le rapport de force entre distributeurs et festivals ne risque pas d'améliorer la situation.

La nouvelle donne

Dans un marché fragilisé par la perte de salles consacrées au cinéma d'auteur et la désaffection d'un certain public cinéphile, les distributeurs semblent désormais envisager les festivals davantage comme des concurrents que comme des partenaires. Aussi, certains distributeurs souhaitent que les entrevues réalisées par les journalistes avec les artisans d'un film pendant un festival ne soient publiées qu'à l'occasion de sa sortie commerciale.

Afin de ne pas nuire à la sortie en salle, certains titres attendus sont carrément refusés aux festivals par les distributeurs ou font l'objet d'intenses négociations (on n'a appris que mercredi l'inclusion du Ruban blanc, dernière Palme d'or de Cannes, dans la programmation du FNC).

«À une époque, la présentation d'un film dans un festival local était automatiquement perçue comme une plus-value pour un distributeur. Ce n'est plus le cas, constate Charles Tremblay, de Métropole Films. Je respecte beaucoup les festivals, mais j'ai une entreprise à diriger. Pour qu'elle reste en santé, mes décisions doivent d'abord être guidées par mes intérêts commerciaux. Je dois être prudent. Je ne suis plus utile à la cinéphilie si je ne suis plus en affaires.»

Cette année, Métropole Films, distributeur de plusieurs titres-phare du cinéma d'auteur mondial (La graine et le mulet, Le ruban blanc), n'a offert que sept films au FNC, comparativement à 15 l'an dernier. L'un des films les plus attendus de l'année, l'excellent Un prophète de Jacques Audiard, célébré à Cannes et à Toronto, ne sera présenté ni au FNC ni à Cinémania, au grand dam des cinéphiles, qui devront attendre sa sortie commerciale, le 26 février 2010.

«Dans un monde idéal, j'aurais aimé présenter Un prophète au FNC, dit Charles Tremblay. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir me permettre de donner 800 ou 1000 spectateurs à un festival. Les recettes de films d'auteur ont fondu comme neige au soleil depuis la fermeture des salles d'Ex-Centris. Pour un film qui doit prendre l'affiche quatre ou cinq mois plus tard, je suis loin d'être convaincu que le bouche-à-oreille d'un festival a un effet favorable. Pour moi, c'est plutôt X nombre de billets gratuits offerts à un festival.»

«Il n'y a que le film d'ouverture qui ait une réelle valeur marchande. Le reste n'est que du vent, renchérit Pierre Brousseau, de Films Séville, qui n'a proposé directement aucun titre au FNC en 2009, comparativement à une quinzaine il y a quelques années. Pour des films qui prennent l'affiche dans plusieurs mois, ce sont des cachets perdus. Nous avons des films dans plusieurs festivals, Cinémania entre autres, qui fait preuve d'une très grande rigueur, mais la contribution des distributeurs aux festivals demeure en quelque sorte une oeuvre de bienfaisance.»

Microdistribution

Les distributeurs n'ont plus besoin des festivals?

«Les microdistributeurs trouvent encore leur compte dans les festivals, mais de moins en moins les grands joueurs, dit Pierre Brousseau. Chacun a ses intérêts, les festivals comme les distributeurs. Il faut collaborer pour trouver des intérêts convergents.»

«Certains films n'ont pas besoin d'être découverts au FNC ou à Cinémania, estime Charles Tremblay. Si on me garantissait qu'Un prophète, le joyau de ma couronne, ferait un million au box-office comme à la belle époque du cinéma français, le présenter dans un festival n'aurait pas d'incidence. Mais ce n'est plus le cas. C'est dommage, mais je dois faire attention au rapport qualité-prix.»

Contexte économique oblige, les distributeurs en sont réduits à faire du «cas par cas»: tout dépend du calendrier de sorties, de la disponibilité des cinéastes et acteurs, et du coût de leur visite dans des festivals montréalais.

«Pour un distributeur, il est parfois mieux d'avoir un film bien en vue dans un petit festival qu'un film noyé dans un grand festival», dit Charles Tremblay, qui estime que l'absence de gros canons tels Un prophète permet à de plus petits films d'avoir davantage de visibilité dans les festivals. «C'est peut-être un mal pour un bien», dit-il. On souhaite qu'il ait raison.